Tournée

“C’est ma tournée !” annonce le patron de la boite où je travaille. Resto entre collègues, je ne sais pas s’il parle du repas ou des apéritifs que vient de nous apporter la serveuse. Je suis nouvel arrivant dans cette entreprise, stagiaire depuis une semaine et pour neuf mois, je ne veux pas me faire remarquer et ne pose pas la question. Dans le doute, au moment de commander, je prends un plat du jour, que j’envisage de ne compléter qu’avec un café, histoire de me donner contenance au moment du dessert, lorsque mes collègues plus fortunés feront bombance.

Au cours du repas, j’essaie de prêter attention aux conversations qui fusent autour de moi, je n’ose placer les remarques que j’ai en tête, je me fais violence pour ne regarder que le contenu de mon assiette et non les plats qui défilent devant moi. Je me fais mentalement la réflexion que mes collègues gagnent bien leur vie, mais comme mon plat n’est pas mauvais, je ne me plains pas trop.

En fin de repas, j’ai fait connaissance avec mes proches voisins, je me sens plus détendu et j’ai même sorti une ou deux blagues. Je suis heureux d’avoir participé à cet évènement organisé par la boite, j’en fais part à mes collègues. Lorsqu’ils me disent que c’est une formidable occasion de s’en mettre plein la panse aux frais de la princesse, je comprends deux choses : non, ils n’ont pas les moyens de se payer ce genre de repas en temps normal, et oui, c’est le patron qui nous invite, j’aurais pu en profiter au lieu de manger cette stupide bavette à l’échalote. D’ailleurs mes collègues sont surpris de me voir aussi peu gourmand, ils pensaient vraiment que le message était clair et voient en moi le gars désintéressé qui les fait passer pour des opportunistes.

Ca commence bien…