La survie, c’est la loi

Bonjour à tous,

Je m’appelle Pierre et je suis évaluateur de programmes.

Si vous êtes ici aujourd’hui, c’est que vous avez échoué, vous avez raté votre examen. Seule une partie d’entre vous aura droit à un rattrapage. Les autres, vous connaissez l’issue : si vous avez provoqué votre échec, pas la peine de vous plaindre. Je lis ici que certains n’ont même pas tenu trois jours, c’est inadmissible, un échec cuisant, vous devriez avoir honte !

Pour ceux concernés, votre mémoire sera réinitialisée pour votre nouvelle épreuve. Seul votre inconscient profond gardera une trace de ce qui vous est arrivé avant. À priori, la situation sera inédite mais les embûches nombreuses. Les autres, vous pouvez suivre Lucifer, ici, il vous montrera le chemin. Monsieur, ça ne sert à rien de pleurer, vous avez mis fin à vos jour avant l’heure, vous assumez !

Alors, pour ceux qui y retournent, écoutez bien mon conseil : a-da-ptez-vous. À tout, vous m’entendez, à tout. Nouveaux comportements, nouveaux organes, nouvelles possibilités, je ne sais pas moi, un peu d’imagination, nom d’une pipe ! Votre place au sommet, vous la gagnerez en vous accrochant, c’est la loi. Peu importent les conditions, vous vous accrochez, vous ne renoncez jamais, vous inventez de nouvelles manières de passer outre ce qui vous arrive. N’oubliez pas : un abandon vous assure une éternité de non-être dans un endroit que je préfère ne pas nommer.

Enfin, je vous rappelle la condition sine qua none pour gagner votre sésame : vous devez engendrer une descendance avant de mourir. Plus elle est nombreuse, mieux vous êtes notés. C’est pourtant simple, non?

Bon, si vous êtes prêts et que vous n’avez pas de questions, vous pouvez y aller…

Vendre son âme

Cela fait des mois que Marie se prépare. Quand elle a lu l’annonce, elle s’est dit “après tout, pourquoi pas?”. À quelques détails près, elle remplissait toutes les conditions. Et pour ce qui lui manquait, il lui suffisait d’être patiente. Ainsi, Marie décida de devenir un modèle de vertu. Heureusement pour elle, elle n’était pas encore compromise, et la liste des pêchés à effacer était relativement courte : quelques mensonges pour préserver un peu son intimité, le vol d’une pomme pour nourrir son petit frère, et c’est tout. Elle commença donc par travailler pour rembourser ladite pomme au vendeur. Pour les mensonges, elle décida de n’en plus dire, mais pensa que rectifier le tir maintenant était trop tard. Elle se dit qu’avec une période suffisamment longue de pénitence, elle compenserait.

Après quelques mois de cette vie exemplaire, elle se sentait prête. Elle pouvait citer de mémoire une bonne cinquantaine de bonnes actions accomplies pendant ce laps de temps et n’avait cédé à aucune tentation. Dans sa tête, elle imaginait quelques questions qu’on lui poserait et les réponses qu’elle ferait. C’était vraiment le bon moment.

Alors, après avoir vérifié l’adresse une dernière fois, elle rajuste le col de sa robe, prend une grande inspiration et pousse la porte de l’office. Elle se dirige vers l’accueil et se présente. On lui dit de patienter, que quelqu’un va la recevoir. Quelques minutes plus tard, un adolescent au look androgyne lui demande de l’accompagner, ce qu’elle fait. Il lui pose quelques questions sur sa vie et les motivations qui la poussent à faire ce qu’elle s’apprête à faire. Bien préparée, elle répond simplement que cet échange devrait assurer assez d’argent à sa famille pour que les siens ne manquent de rien sur plusieurs générations, et que cela valait bien son sacrifice. Devant l’air gêné de celui qu’elle identifie comme un DRH, elle ajouta rapidement qu’elle ne considérait pas cela comme un vrai sacrifice, mais comme un moyen de s’épanouir, de se sentir utile. Elle sent qu’elle s’empêtre et finit par se taire, le rouge aux joues.

L’employé la rassure en lui disant qu’elle est la seule à avoir répondu à l’offre et qu’en plus du deal annoncé, il se pourrait qu’il ait un bonus pour elle, si elle est intéressée, évidemment. Reprenant contenance, Marie cherche à savoir si son interlocuteur l’embobine ou pas. Elle lui rappelle donc les termes de l’annonce et attend confirmation. Un ange passe et dépose sur le bureau un contrat que Marie lit. Elle écarquille les yeux en lisant à combien se chiffre la vente de son âme. Elle ne pensait pas être à ce point vertueuse. Son âme va se monnayer très cher, et il n’y a pas à dire, ils ne sont pas radins là-haut. Son engagement à elle n’est pas trop prenant non plus : continuer sur sa voie pieuse et devenir une sorte d’idole. Pas si dur que ça finalement. Marie sourit en pensant à ce que ça peut impliquer. En regardant les annexes, elle comprend que le bonus n’est pas mauvais non plus : on lui fournit un enfant, qui sera lui aussi adulé, assurant la renommée de sa famille à travers les siècles, et un mari, pour garantir sa réputation. Marie cherche un crayon dans son sac et signe aussitôt.

Une journée pour sauver l’humanité

Je me suis levé tard ce matin. Tête dans le brouillard et sensation tenace d’oublier quelque chose. Peut être que j’aurais dû faire moins de folies hier soir. C’est pas si grave, après tout, c’est pas la première fois. Direction le canapé pour un café pas mérité mais requinquant. Je regarde brièvement ce qui se passe dans le monde avant de me lasser, comme toujours. Je sors prendre un peu l’air, ça me fait du bien mais je suis un peu désœuvré. Direction le canapé pour une sieste improvisée.

Vingt heures sonnent déjà, je n’ai pas vu le temps passer. Je vais me chercher une petite bière dans le frigo pour me motiver un peu pour la soirée. Et je vois le petit mot sur le frigo, pense bête laissé à mon intention par quelqu’un qui sait où me trouver. “N’oublie pas que tu n’as que jusqu’à ce soir pour sauver l’humanité. Bisous, Papa”.

Ah oui, c’était donc ça, ce que j’avais oublié. Vingt heures. La flemme. Bah qu’ils se débrouillent tous seuls. Au pire, Papa recommencera demain, c’est tout.

Et Dieu créa ma femme

Pensant qu’il manquait quelque chose à ma vie, Dieu créa un être magnifique, pur, doué d’intelligence. Il crut bon de m’unir officiellement à elle afin que je puisse assouvir certaines envies charnelles. Dieu venait de créer ma femme et dans un premier temps, je ne m’en plaignais pas. Et puis j’ai fini par comprendre. Tellement fou d’elle, je ne la quittais pas d’une semelle. Je n’osais la laisser seule de peur que d’autres ne la volent. Pour lui plaire, je devins exemplaire, arrêtais certaines manies qui jusque là ne me dérangeaient guère.

Dans son intelligence divine, Dieu venait de trouver le mouchard idéal.

Bordel, ça marche plus

Dieu est rentré de vacances ce matin, et déjà, le voilà débordé. Bon, en deux millénaires, il s’attendait plus ou moins à avoir quelques affaires à régler en rentrant, mais il avait quand même placé son fils à la tête de son entreprise pour assurer ses arrières. Et le voilà crucifié, ça commence bien. D’autres entreprises en ont profité pour grignoter petit à petit sa création. Il n’aurait peut être pas dû s’absenter si longtemps, mais il faut dire qu’il a perdu la notion du temps à visiter les autres univers, même s’il en a retiré quelques bonnes idées pour améliorer son business…

Il est tout de même temps de reprendre les choses en main. Pour commencer, rien de tel qu’une apparition divine pour annoncer à tout le monde qu’il n’est plus le temps de rire et reprendre sa place… Dieu va donc choisir sous quelle forme il préfère apparaître aux yeux de tous. Son choix se porte sur le modèle “Dieu lumineux, éblouissant” qui fait toujours effet sans avoir besoin de trop soigner les détails. Il tape la commande lui permettant de l’activer et attend. Rien ne se passe. Il retape la commande. Toujours rien.

Marie ! Qu’est ce qui se passe avec les commandes? Je ne peux plus m’incarner…” Mais Marie n’apparaît pas. Il n’a pas vu Jésus non plus, depuis qu’il a appris qu’il était crucifié. Il va devoir se débrouiller seul. Il teste une autre incarnation, “Dieu géant fait de tempêtes”. Ça fait peut être trop, mais c’est pour essayer. Rien non plus. Message d’erreur “No longer used, old fashioned”. Ben voyons. Il teste encore le “Dieu éblouissant”. Un éclair l’aveugle, et la machine s’éteint. Il se regarde. Toujours rien. Dieu tape sur la machine. Rien ne se passe. Dieu crie et lui ordonne de fonctionner. Après tout, les machines devraient au moins lui obéir, il ne leur a pas encore laissé le libre-arbitre, quand même… Rien de rien. Dieu perd patience, il tempête, essaie au moins de détruire cette stupide machine par sa volonté divine. N’y arrive pas.

Il sort bouillonnant de colère. Descend directement sur Terre, à la recherche de son fils. Tant pis pour le sensationnel, il y va au naturel. Dieu use de sa grosse voix pour se faire reconnaître. Il est surpris de voir un concert d’applaudissement saluer sa performance. “Bravo, les effets spéciaux”. “Maman, le monsieur dit qu’il est Dieu, mais c’est truqué, pas vrai?”. “Tenez monsieur, quelques pièces pour manger, vous les avez bien méritées”. Dieu se fâche tout rouge et demande à voir Jésus immédiatement. On lui rit au nez, l’applaudissant de plus belle. Il se concentre pour attirer la foudre sur ces stupides badauds. Rien ne se passe. Ah, si il entend le tonnerre. Suivi immédiatement d’un “pardon, maman, j’ai pas fait exprès”.

Dieu, au bord de la crise de nerfs, regagne le ciel. Se sert un chocolat chaud avec du pain d’épices. Ça va mieux. Puis il  actionne la commande lui permettant de supprimer sa création avant d’en commencer une nouvelle. “Bordel, même ça, ça marche plus?” Peu importe. Demain, il se trouvera un bout d’univers qui n’a pas encore de planète et recommencera. Et pour ce brouillon-ci, ils ont l’air de bien s’en sortir tous seuls, non? Note pour la prochaine fois, éviter le libre-arbitre, c’est un coup à se retrouver au chômage, ça…