La vengeance est un plat qui se mange froid

Après toute une vie passée à pointer les gens du doigts, Marty eut quelques surprises le jour où il dût enfiler sa première paire de lunettes. Certes il se faisait vieux, certes sa vue baissait, mais tout de même, il ne perdait quand même pas la tête ! Depuis qu’il avait chaussé ses lunettes, il ne s’était pas passé un quart d’heure sans qu’il fut obligé de les nettoyer. Il faisait pourtant attention, il les nettoyait soigneusement et prenait garde à ne pas les toucher, mais rien n’y faisait, quelques minutes plus tard, sans qu’il sache comment ni pourquoi, une trace de doigts ornait déjà les deux verres. De belles traces de doigts de qui se les ai léchés exprès pour faire une salle blague. Sauf que très souvent, Marty est seul. Assuré de ne pas perdre la boule, Marty devint jour après jour parano. Parano, et très très agacé.

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Après des années à le prévenir par tous les moyens, tous les intermédiaires possibles, Il tient enfin sa revanche. Ah, ce sale petit c** ne pouvait pas prendre garde à son doigt, il ne pouvait pas s’empêcher de le brandir à tout-va? Sans se soucier du fait qu’Il est partout et doit sans arrêt faire attention à ne pas se faire crever les yeux? Et bien voilà, pour la peine, Il passera le reste de sa courte existence derrière lui, à souiller ses lunettes pour le rendre chèvre. Et tant pis si c’est trop facile d’abuser ainsi de Son omnipotence, il l’a bien cherché !

La survie, c’est la loi

Bonjour à tous,

Je m’appelle Pierre et je suis évaluateur de programmes.

Si vous êtes ici aujourd’hui, c’est que vous avez échoué, vous avez raté votre examen. Seule une partie d’entre vous aura droit à un rattrapage. Les autres, vous connaissez l’issue : si vous avez provoqué votre échec, pas la peine de vous plaindre. Je lis ici que certains n’ont même pas tenu trois jours, c’est inadmissible, un échec cuisant, vous devriez avoir honte !

Pour ceux concernés, votre mémoire sera réinitialisée pour votre nouvelle épreuve. Seul votre inconscient profond gardera une trace de ce qui vous est arrivé avant. À priori, la situation sera inédite mais les embûches nombreuses. Les autres, vous pouvez suivre Lucifer, ici, il vous montrera le chemin. Monsieur, ça ne sert à rien de pleurer, vous avez mis fin à vos jour avant l’heure, vous assumez !

Alors, pour ceux qui y retournent, écoutez bien mon conseil : a-da-ptez-vous. À tout, vous m’entendez, à tout. Nouveaux comportements, nouveaux organes, nouvelles possibilités, je ne sais pas moi, un peu d’imagination, nom d’une pipe ! Votre place au sommet, vous la gagnerez en vous accrochant, c’est la loi. Peu importent les conditions, vous vous accrochez, vous ne renoncez jamais, vous inventez de nouvelles manières de passer outre ce qui vous arrive. N’oubliez pas : un abandon vous assure une éternité de non-être dans un endroit que je préfère ne pas nommer.

Enfin, je vous rappelle la condition sine qua none pour gagner votre sésame : vous devez engendrer une descendance avant de mourir. Plus elle est nombreuse, mieux vous êtes notés. C’est pourtant simple, non?

Bon, si vous êtes prêts et que vous n’avez pas de questions, vous pouvez y aller…

Une journée bien remplie

Je me suis levée à l’aube ce matin. J’ai commencé la journée en regardant le temps passer. Un petit déjeuner, la vaisselle puis le ménage m’occupent jusqu’au milieu de la matinée. Je descends chercher le pain sur le coup des onze heures et en profite pour relever le courrier. C’est important d’optimiser les déplacements. En revenant, je commence à cuisiner, même si je sais bien que je n’aurai pas faim. Je passe à table à midi et demie et tandis que je termine mon café, j’entends qu’on sonne à la porte. C’est la voisine du dessus qui m’invite à regarder son album photo. J’accepte avec enthousiasme. En rentrant, en milieu d’après midi, je vais chercher ma voisine de palier pour un thé. Nous restons ensemble jusqu’à dix huit heures. Au moment où ma voisine me quitte, le téléphone sonne. Je parle une bonne demi-heure avec mon interlocutrice. Elle raccroche, je prépare alors le repas du soir. Plus que quelques heures à tenir avant de me coucher. Je suis contente, je n’ai presque pas vu passer la journée.

Vendre son âme

Cela fait des mois que Marie se prépare. Quand elle a lu l’annonce, elle s’est dit “après tout, pourquoi pas?”. À quelques détails près, elle remplissait toutes les conditions. Et pour ce qui lui manquait, il lui suffisait d’être patiente. Ainsi, Marie décida de devenir un modèle de vertu. Heureusement pour elle, elle n’était pas encore compromise, et la liste des pêchés à effacer était relativement courte : quelques mensonges pour préserver un peu son intimité, le vol d’une pomme pour nourrir son petit frère, et c’est tout. Elle commença donc par travailler pour rembourser ladite pomme au vendeur. Pour les mensonges, elle décida de n’en plus dire, mais pensa que rectifier le tir maintenant était trop tard. Elle se dit qu’avec une période suffisamment longue de pénitence, elle compenserait.

Après quelques mois de cette vie exemplaire, elle se sentait prête. Elle pouvait citer de mémoire une bonne cinquantaine de bonnes actions accomplies pendant ce laps de temps et n’avait cédé à aucune tentation. Dans sa tête, elle imaginait quelques questions qu’on lui poserait et les réponses qu’elle ferait. C’était vraiment le bon moment.

Alors, après avoir vérifié l’adresse une dernière fois, elle rajuste le col de sa robe, prend une grande inspiration et pousse la porte de l’office. Elle se dirige vers l’accueil et se présente. On lui dit de patienter, que quelqu’un va la recevoir. Quelques minutes plus tard, un adolescent au look androgyne lui demande de l’accompagner, ce qu’elle fait. Il lui pose quelques questions sur sa vie et les motivations qui la poussent à faire ce qu’elle s’apprête à faire. Bien préparée, elle répond simplement que cet échange devrait assurer assez d’argent à sa famille pour que les siens ne manquent de rien sur plusieurs générations, et que cela valait bien son sacrifice. Devant l’air gêné de celui qu’elle identifie comme un DRH, elle ajouta rapidement qu’elle ne considérait pas cela comme un vrai sacrifice, mais comme un moyen de s’épanouir, de se sentir utile. Elle sent qu’elle s’empêtre et finit par se taire, le rouge aux joues.

L’employé la rassure en lui disant qu’elle est la seule à avoir répondu à l’offre et qu’en plus du deal annoncé, il se pourrait qu’il ait un bonus pour elle, si elle est intéressée, évidemment. Reprenant contenance, Marie cherche à savoir si son interlocuteur l’embobine ou pas. Elle lui rappelle donc les termes de l’annonce et attend confirmation. Un ange passe et dépose sur le bureau un contrat que Marie lit. Elle écarquille les yeux en lisant à combien se chiffre la vente de son âme. Elle ne pensait pas être à ce point vertueuse. Son âme va se monnayer très cher, et il n’y a pas à dire, ils ne sont pas radins là-haut. Son engagement à elle n’est pas trop prenant non plus : continuer sur sa voie pieuse et devenir une sorte d’idole. Pas si dur que ça finalement. Marie sourit en pensant à ce que ça peut impliquer. En regardant les annexes, elle comprend que le bonus n’est pas mauvais non plus : on lui fournit un enfant, qui sera lui aussi adulé, assurant la renommée de sa famille à travers les siècles, et un mari, pour garantir sa réputation. Marie cherche un crayon dans son sac et signe aussitôt.

Le silence des marmots

Elles ne sont pas là. Elles ne sont plus là. Les cris, les rires se sont tus. Partie la présence envahissante, accaparante de mes trois enfants. Où sont-elles? Je ne sais pas. Je cherche depuis des mois. Une trace. Une adresse. Questions aux voisins. Pied de grue devant l’appartement de ma belle-famille. Où les a-t-elle emmenées? Jour après jour, inlassablement, je cherche. Je ne renoncerai pas. Jusqu’à ma mort je chercherai. Car sans elles, à quoi bon vivre?

Elle n’aurait pu me faire plus mal. Se servir de l’innocence de mes enfants, les déraciner, les enlever, pariant sur le fait que je ne voudrai jamais leur faire autant de mal moi-même. Et me laisser toujours un doute horrible, perfide, sournois. Jusqu’où irait-elle pour me blesser? Si je les retrouvais sans qu’elle y soit préparée, que ferait-elle pour me punir? Insoutenable idée, je suis prêt à tout lâcher.

En réalité, je pourrais tout oublier maintenant. Tout ce qu’elle a déjà fait. Oublier qu’elle m’a sali. Oublier les tribunaux. Oublier les trahisons. Oublier la main forcée à nos amis communs, l’inéluctable et impossible choix. Tout. Je pourrais tout oublier. Juste pour la certitude que je les reverrai un jour. Pas pour un visage, un sourire, une excuse, non. Juste pour la certitude que je les reverrai un jour.

Jusqu’à ma mort je chercherai. Je me ruinerai s’il le faut. Je ferai tout mon possible et une bonne partie de l’impossible pour retrouver leur trace. J’arpenterai la France entière. Le monde s’il le faut. Je ne chercherai même pas à me venger, à l’écraser, à la juger. J’accepterai l’inacceptable. Pour la certitude que je les reverrai un jour. Car sans elles, à quoi bon vivre?