I’m kissing you

Quelques notes de piano avant l’arrivée du violon. Ton bras tendu sur lequel courent mes doigts. Confortablement installée dans ton lit, la main tendue pour conjurer ma peur. Tandis que tu sombres petit à petit dans le sommeil, je m’accroche à cette main pour oublier. Le trou béant. La panique irrationnelle. Grattouilles, grattouilles, je focalise mes pensées. Ne pas tourner la tête, ne pas voir l’espace plein d’ombres sous ton matelas. Ne pas imaginer tout ce qui pourrait sortir de sous ton lit. Et qui serait bien obligé de passer sur ma couche pour venir te croquer les pieds. Prions pour que je les intéresse moins… Accrochée à ta main, j’écoute désespérément cette musique qui t’endort et me rassure. Un impératif : m’endormir avant la fin du disque. Ne pas entendre les murmures qui me réveillent en sursaut sur la dernière chanson. Sinon je suis bonne pour veiller tard, les yeux grands ouverts, immobile et paranoïaque. Scrutant de toutes mes oreilles le silence qui débride mon imagination, enveloppe mes terreurs nocturnes, et m’emmène mine de rien au petit matin où le soleil chasse enfin les monstres et m’accorde un peu de repos.

Merci facteur !

Au courrier, ce matin, une carte de toi. Après une semaine à scruter la boîte, à attendre le facteur, mon impatience est enfin récompensée. L’enveloppe un peu plus rigide que la normale me rassure. Sacro-saint rituel, je ne l’ouvre pas de suite. J’attends d’être à l’abri de ma chambre pour décacheter l’enveloppe, examiner la carte et me plonger dans sa délicieuse lecture. Je me réjouis de l’image que tu as pu choisir pour moi. J’apprécie chaque mot posé, bribes du quotidien, complices bavardages cryptés, uniquement à moi adressés. Ces mots écrits valent mille chuchotements dans un quelconque combiné. Nulle oreille indiscrète pour nous déranger. Cent cartes à lire et relire pour me rappeler que toujours tu penses à moi. J’en tapisse les murs de ma chambre pour m’entourer de toi. De toi qui manques à ma vie. De toi qui coûte que coûte m’accroches, bouée salvatrice dans ma brève existence déjà bien compliquée. De toi qui seras à tout jamais une part de mon cœur, de mon être, et pas des moindres.

Parenthèse

Le jour où je l’ai rencontré, je prenais le train pour me rendre à un enterrement qui s’annonçait éprouvant. J’étais supposée arriver le soir pour passer un peu de temps avec ma famille et nous devions partir tous ensemble le matin pour les funérailles. Changement à Paris, un quart d’heure de retard. Le temps de ma correspondance. Arrivée sur le quai, je vois que mon second train est parti, il y a tout juste deux minutes. Une boule dans la gorge, agacée, fatiguée, au bord des larmes, je suis baladée de guichet en guichet pour essayer de partir par le prochain train. Glaçante réalité : le train suivant ne part que le lendemain, à 6h. La voix en trémolos, plus de batterie dans le portable pour prévenir ceux qui m’attendent, je demande comment je suis censée faire, je ne vais quand même pas dormir à la gare. On me propose un hôtel, mais peut être pas, parce que le délai minimum d’une correspondance sur Paris est d’une demi-heure et que c’est sûrement de ma faute si j’ai choisi ces trains-là, un quart d’heure c’est bien trop court pour changer ici. Je me retiens pour ne pas crier, je m’excuse de mon agacement plus que visible, j’explique que si je m’énerve, c’est contre l’institution, pas contre la personne assise devant moi. Et je montre mon billet de train, qui indique bien une correspondance trop courte. Mon billet. Qui me sauve et me permet de bénéficier d’une nuit d’hôtel payée par la SNCF. Si j’en avais eu deux, on aurait considéré que j’avais choisi ce délai trop court et la SNCF serait dédouanée, quand bien même ce seraient les seuls trains proposés pour le trajet voulu.

C’est exactement ce qui arrive au jeune homme qui se présente au guichet, entouré de cinq gros sacs, débordé, désabusé. Il a fait exactement la même chose que moi, mais la machine lui a sorti deux billets au lieu d’un. Ce n’est donc pas une correspondance, mais de l’inconscience de sa part. S’il veut dormir à l’hôtel il en sera pour ses frais. Et un hôtel près de la gare, ça coûte cher, surtout qu’il parait vraiment bien jeune pour pouvoir se l’offrir. Timidement, je lui propose qu’on partage ma chambre. Embarrassé mais reconnaissant, il accepte.

Arrivés à l’hôtel, tout est en ordre pour moi, les réceptionnistes sont avertis et la chambre est payée. Il faut rajouter dix euros pour le jeune homme. C’est raisonnable, dix euros pour une nuit au Mercure. La chambre est spacieuse, mais ne contient qu’un grand lit. On se regarde, il faudra partager. Pas si grave après tout. Sauf que (oups) j’ai oublié mon pyjama. On s’arrange, il me prête un short, légèrement trop petit, et un t-shirt. Ça fera l’affaire, de toutes façons, il ne sera pas très regardant, si?

Pour me remercier de mon geste, le jeune homme m’invite au restaurant. On commence à discuter, j’apprends qu’il est sommelier à seulement dix neuf ans, qu’il a déjà travaillé dans plusieurs villes et qu’actuellement, il déménage de Brest à Châtellerault. En train, donc. La soirée, contre toute attente, devient agréable. Je mets de côté ma tristesse et profite de ce répit avec mon compagnon d’une nuit.

Un peu trop vite arrive l’heure de se coucher, il ne faudrait surtout pas oublier de se réveiller sur le coup des cinq heures du matin pour avoir, finalement, notre train. Je passe la nuit sans oser bouger, toute droite dans ma portion de lit, de peur de toucher par inadvertance ce jeune corps endormi à mes côtés. Quand le réveil sonne, je file à la douche, les yeux ensommeillés. Je ne ressemble pas à grand chose. Je m’habille de noir mais ne suis pas vraiment prête pour la journée qui m’attend. Ensemble, on se dirige vers la gare, je l’aide à porter son si lourd bagage. Il nous reste deux heures de train pour évoquer au pied levé les anecdotes de nos vies qu’on a encore envie de partager avec un presque inconnu.

Quand le train arrive en gare, la réalité me rattrape. La journée sera très dure. Mais je garde en mémoire les instants partagés avec un jeune homme qui s’est employé à me changer les idées, échangeant le couvert et l’écoute contre le gîte et la curiosité.

Dans la panade

Vu du sentier, ça paraissait une excellente idée. Sortir un peu du chemin, couper à travers le sable, gagner quelques minutes et avoir une plus forte impression de nature sauvage. Hop, à peine le temps de se concerter, nous voilà partis sur la plage pour longer un bras de mer, profiter du soleil et de l’air marin au lieu de passer par le bois.

Une fois la barrière franchie, nous ne mettons pas très longtemps à nous rendre compte que le sable est plutôt vaseux, que tout est bien imbibé d’eau et que nous ne traverserons pas tout de suite le bras de mer pour rejoindre l’autre bord. Mais faire demi tour maintenant serait bien trop triste. Nous continuons donc d’avancer, en pensant que si l’on veut, on peut toujours revenir sur nos pas, mais pas trop tard quand même puisque la marée finira bien par monter. Au bout d’une dizaine de pas, nos chaussures s’enfoncent dans la vase, presque jusqu’à la cheville. Derrière nous c’est sûr, le sol n’est pas terrible. Devant nous, on ne sait pas. Peut être que ça s’arrangera plus loin?

Vient le moment où il devient clair que devant nous, ça va aller de mal en pis, le sol est très mou, la vase monte de plus en plus haut et retient nos pieds de plus en plus longtemps. Une pensée s’immisce : et s’il tombe, je fais quoi? Le temps a passé. Même la certitude que devant ne s’améliore pas ne peut plus nous empêcher d’avancer : avec le temps qu’on a mis à faire l’aller, faire demi-tour maintenant signifierait finir les pieds dans l’eau.

A chaque pas en avant, on tend le cou, on regarde ce qu’il y a derrière tel bosquet, des fois qu’on trouve miraculeusement un passage. On est presque prêts à couper par l’eau, sauter de rocher algueux en rocher algueux. Et puis, là, sur le côté, après le passage sous les racines d’un arbre recouvertes d’algues, nous voyons enfin une piste remonter vers ce qui semble être une propriété privée et plus loin, une route. Ni une ni deux, la barrière est franchie. Le pas s’allonge, vite, passer de l’autre côté pour ne pas “se faire prendre”, complètement vaseux au milieu des ruches.

Dès le bitume rejoint, on rit un peu. On a pris du retard sur la journée de randonnée, ça en valait le coup. Mais pas sûr qu’on recommence de suite…

Attentes bafouées

Tu es venue quand on ne t’attendait pas, on pensait avoir besoin de toi. Tu as bien fait attention à lister nos envies, nos attentes. On était ravis, on était aux anges, que quelqu’un vienne prendre les choses en main.

Comme souvent dans la passion, cela n’a pas duré. Au lieu de nous dire tout simplement que tu ne pourrais pas, tu as essayé d’intégrer nos projets et les tiens. On a cru qu’on avait des intérêts communs.

Et puis, petit à petit tu as tout piétiné. Tu as foulé aux pieds nos projets, tu as ramené le tien. Tu attendais des choses de nous sans nous le dire, on attendait de toi que tu prennes ta place. Tu ne l’as pas fait. La confiance sans borne qu’on t’avait accordé d’avance est devenu un petit feu follet qu’il fallait entretenir. Tu ne l’as pas fait. Il n’en reste plus rien sinon son négatif, une méfiance aveugle qui peu à peu se transforme en défiance. Sans cohérence, tu passes d’une idée à l’autre et tu veux qu’on te suive sans savoir où on va. Tu oublies qu’on est amateurs, tu oublies qu’on voulait avant tout s’amuser. Être au top ne faisait pas partie de nos ambitions. Les tiennes sont démesurées, et tu ne t’en donnes pas les moyens. Tu mets la barre tellement haut que nous savons tous qu’on ne l’atteindra pas. Quelle importance maintenant?

Alors bon gré mal gré, je me force à poursuivre. Non pas pour toi, ni même pour moi, je sais que je trouverai mon plaisir ailleurs. Mais pour les prochains, pour garder le peu de crédibilité qu’il nous reste et faire en sorte que les suivants n’aient pas à payer pour les erreurs de leurs prédécesseurs. Pour rendre l’ardoise nette, en quelque sorte.