En silence

Pas un mot d’échangé, à peine les bonjour, merci et au-revoir de mise. Le résultat est pourtant là. Pas un faux pas, harmonie et compréhension totale. Les corps parlent d’eux-mêmes, s’ajustent en un clin d’œil pour laisser place au plaisir à l’état pur. Plaisir égoïste et partagé, intense et éphémère, sublimé par cette connivence infra-verbale. Plaisir qui s’affiche insolemment en exquis sourires offerts au monde entier qui, il faut bien l’avouer, s’en moque éperdument.

Plinn

Saute, saute, trois petits pas pour compacter la terre. Tous ensemble enchaînés, nous arpentons le sol, le foulons sous nos pieds pour faire revivre la pratique ancestrale visant à tasser le sol de la maison. Donner toutes ses bonnes vibrations pour inaugurer un nouveau lieu de vie.

Les maisons ne sont plus en terre battue, bien souvent on paie pour danser avec de parfaits inconnus. La fête du village s’est considérablement élargie. Toujours la même énergie brute, la transe, le plaisir d’être tous ensemble dans le même mouvement simple, terre à terre, presque tribal, mais retenu, pas très expansif. Tape le parquet, encore et encore, pour faire du bruit, pour prouver qu’ensemble, on existe, interminable chenille qui serpente, paradant dans la salle.

Les mérites de l’infidélité

En amour, je suis fidèle. En amitié, je suis loyale. Au travail, je suis acharnée, à défaut d’être constante. Mais dès qu’il s’agit de danser, je ne puis qu’être volage, je ne connais aucune attache. Je passe de bras en bras, à la recherche de celui qui correspond le mieux à mon humeur, à mon rythme, à mes envies. Je me pose pour quelques danses lorsque je trouve une perle rare, puis je me sauve sans préavis dès qu’il montre un signe de fatigue, de lassitude ou une trop grande proximité. Toujours à l’affût de nouveaux talents, je me laisse entraîner par toutes les belles promesses. Je ne suis pas regardante sur l’esthétique, qu’importe le flacon pourvu que j’aie l’ivresse. C’est bien souvent dans les vieux flacons qu’on fait les meilleurs crûs, mais la vigueur de la jeunesse m’attire parfois.

Il m’arrive quelquefois, lorsque la soirée fut prolifique, d’initier un novice à la pratique, m’essayant à la patience pour apprendre à un débutant tout ce qu’il doit savoir pour bien danser, bien tourner, bien mener. Et je repars encore tourner dans d’autres bras, appréhender d’autres corps, connaître d’autres manières de faire.

Bien sûr j’ai quelques habitués, cavaliers dont je sais qu’ils s’accorderont à moi, faciles plaisirs pour une danse parfaite. Mais tout serait bien monotone si je ne devais me contenter que d’un ! Même un cavalier hors pair ne saurait me retenir bien longtemps tant le besoin de tester encore et toujours de nouvelles expériences me démange. Et si je me trompe, tombe sur un danseur tout mollasson ou tyrannique, je n’en suis que plus heureuse de trouver, l’instant d’après, de nouveau une valeur sûre.

Valse

Danse linéaire s’il en est, sa fluidité est une merveille. Lorsque deux à deux nous tournoyons, nous ne semblons former plus qu’un seul organisme aux membres multiples qui bougent en rythme. A l’échelle du couple, la valse est un perpétuel aller retour en rotation, en avant, en arrière, avec les jambes qui s’entremêlent sans s’emmêler. La musique, en trois temps, nous laisse développer à la perfection nos mouvements : un grand pas, deux qui le rattrapent, toujours et encore recommencé. La grand-mère de Jacques Brel la dansait. Je pense que mes arrières-petites filles la danseront avec la même joie, le même émoi. Rien d’original. Terriblement efficace.

Mazurka

Avant même de commencer à danser, le rythme s’immisce dans ma tête pour emporter mes pieds. Un, deux, trois… Ma-zu-rka. Un, deux trois… De mes yeux qui s’affolent, je cherche le partenaire, celui qui danse la même variante que moi. Trouvé. Aussitôt, la danse nous entraîne dans sa fluidité. Deux pas, un petit saut, un petit tour. Deux pas, un petit saut, un grand tour, dans l’autre sens.

Ma main sur son épaule, sa main qui maintient mon dos, il me guide doucement mais fermement, je suis en confiance. Lorsque les deux danseurs et la musique ne font plus qu’un, les yeux fermés je m’abandonne. Tourne ma tête, tourne ma jupe, tournent mes pieds, toujours dans un sens, puis dans l’autre, sans accroc et sans contre-temps.

Lorsque vient la fin de la danse, le temps de l’entre deux est nécessaire pour reprendre mes esprits, pour caler mon regard qui continue à tourner, et remercier mon partenaire.