Tu sors pour quelques dizaines de minutes, une formalité administrative dont tu sais à l’avance que ce sera très administratif mais un peu plus qu’une simple formalité. Ça fait deux mois que tu attends que Pôle Emploi te rende ton dossier que de toutes façons c’est pas eux qui te paient mais ça passe par eux quand même. Deux mois que tu attends de l’avoir pour le donner à la fac -ton ex-employeur du public-, qui va prendre autant de temps pour finir par te payer ton chômage, et qu’à la fin tu seras payée tout d’un coup mais t’auras eu le temps d’être à la retraite. Et là, ils te renvoient ton dossier mais en fait il manque -encore- une pièce, ce qui relance la machine pour un bon mois (mais tu ne le sauras que plus tard, là tu crois encore qu’en y allant en personne ça peut accélérer les choses -oui, d’accord tu es naïve-). Bref. Il fait plutôt beau, avec un petit vent froid. Si t’étais n’importe où ailleurs, les couleurs d’automne seraient superbes, mais en région parisienne, entourées de béton, elles sont aussi tristes qu’un orang-outang en vitrine au jardin des plantes. Mais bon, comme tu prends l’air inopinément (t’es quand même censée bosser et cette balade au Pôle Emploi -que tu continues à appeler ANPE, comme une vieille que tu seras bientôt- a des allures de récré), tu profites du soleil édulcoré et de la fraicheur sur tes joues.
Sur ton trottoir, devant des sapins sur un socle de bois, qu’ont l’air perdus devant le Liddl, tu t’apprêtes à croiser une classe collégiens (qui vient d’en face), et un couple de petits vieux (qui arrive perpendiculairement, ça c’est pour être précise mais au final on s’en fout, ça servira pas pour la suite). Les collégiens sont très collégiens (quoiqu’ils aient l’air de marcher en rang par deux -voire trois ou quatre, mais c’est pas encore un troupeau, le collège doit vraiment pas être loin). Ils font plein de bruit pour se prouver qu’ils sont jeunes et cons vivants, ils chahutent, ils apostrophent les passants, sûrs d’être en supériorité numérique -et surtout, phonique. Le couple de vieux a vraiment l’air très très vieux. Du genre qui se tient par la main pour pas se perdre, pour garder l’équilibre ou parce que ça pèle un peu, ce petit vent froid. Ils ont les cheveux plus blancs que blancs, on dirait qu’ils ont échangé leur flacon de Dop contre un baril du nouvel Omo et ils essaient de se tenir bien droit dans leurs vestes à carreaux, avec plus ou moins de succès selon d’où vient le vent.