Défier les apparences

Il parait que je suis arrivé comme un cheveu sur la soupe, quand personne ne m’attendait. Un accident, comme on dit. Maman était trop vieille, elle n’y croyait pas, et Papa est parti quand il l’a appris. Pas de ma faute, mais on dirait que c’est écrit sur mon visage. Je le ressens à chaque regard de Maman, depuis presque trente ans.

Il parait que bientôt, Maman va partir et que je ne pourrai plus la voir. J’aimerais bien qu’elle m’emmène avec elle mais elle a le regard dans le vague chaque fois que je le lui demande.

Il parait que je suis socialement inadapté. On m’appelle bon à rien, poids mort, boulet, instable. Je ne travaille pas, mais Maman a quand même quelques sous grâce à ma pension. Personne ne sait que j’invente des histoires, je ne les raconte à personne puisque personne ne m’écoute. J’aimerais pouvoir les dire à des enfants, que j’imagine plus gentils et plus doux que les adultes, et surtout avec plus d’imagination…

Il parait que pour mon bien je vais aller moi aussi en voyage, dans un centre avec des gens comme moi. Que c’est mieux pour tout le monde. Évidemment, on ne me demande pas mon avis, c’est une constatation. Maman est vraiment trop vieille pour s’occuper de moi, elle est très fatiguée. Je sais bien que je la fatigue, elle me le dit souvent.

Il parait que là où je vais, les gens sont gentils mais que je n’en sortirai pas tant que je n’aurai pas une insertion socio-professionnelle. Je pense aussi que là bas, personne ne me connaît. Je ne suis plus obligé d’être l’inadapté. Peut être que par rapport aux autres, je serai ouvert. Je serai dégourdi. J’ai de l’imagination. Peut être que je pourrai être créatif, communicatif. Et peut être qu’un jour, je pourrai vivre.

Je n’ai donc plus le choix. A moi de défier les apparences. Avec aplomb.

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