Hier, m’a-t’on dit, je suis mort. Je ne m’en étais pas rendu compte, tellement occupé que j’étais à faire attendre mon entourage. J’inventais des subterfuges, pour tenir encore et encore plus longtemps. Je m’amusais à les faire languir, dosant avec soin mes effets, mes pics de maladie, leur donnant de faux espoirs et faisant des pieds de nez à la mort. Je les écoutais patiemment me sortir du “on t’aime tellement pépé” pour être couchés sur l’héritage. Et je leur ai fait croire à chacun qu’ils auraient la plus grosse part, pour être sûr d’avoir toujours et encore de la visite. Avoir un public sans cesse renouvelé, de l’affection sincère ou feinte, à mon âge peu importait…
Et voilà que je suis mort hier, et que je n’en ai même pas profité. Quelle différence pour moi? Cela faisait longtemps que je les observais comme de très haut, je n’ai pas senti de changement majeur. A bien y réfléchir, il m’a semblé effectivement qu’ils ont pleuré. Tous. Je m’étais dit que j’étais meilleur comédien que d’habitude, mais pour le coup, peut être qu’eux ne jouaient pas toutes ces années. Bah, quelle importance maintenant? Ils ont toujours cru que je les aimais, c’est ce qui compte, non?
Et aujourd’hui, que vais-je bien pouvoir faire? J’ai le monde devant moi, et je suis tellement habitué à ce que personne ne me comprenne que la mort s’annonce au final comme ma vie. Personne ne me voit. Je n’ai plus de consistance. Mais je peux bouger pour moi même, ce que j’étais bien incapable de faire ces dernières années. Alors je me remets au sport. Je joue au foot avec les étudiants, courant derrière la balle, sans effet notable. Je m’entraîne au 100 mètres haies, sport auquel je bats tous les records. Je danse le tango dans les salons du troisième âge. Et la salsa dans les discothèques branchées. Seul, mais si je me tiens assez près d’elles, je sens l’odeur des jeunes étudiantes me chatouiller les narines.
Ma foi si l’on m’avait dit ce qu’était la mort, je me serais peut être un peu moins accroché à la vie.