Texte écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture à L’Escalier
L’histoire s’est passée à une époque où le temps n’était pas encore compté, pesé, mesuré, domestiqué.
À cette époque, les humains côtoyaient trois types de monstres : les monstres à écailles, les monstres visqueux et les monstres poilus.
On trouvait les monstres à écailles dans l’océan, aux abords de certains fleuves et dans les zones tropicales. Les monstres visqueux habitaient les déserts, les marécages, les savanes. Et les monstres poilus régnaient sur les montagnes, les banquises et les forêts.
L’histoire qui nous intéresse s’est déroulée au sommet d’une montagne sans nom, car à cette époque les lieux étaient encore sauvages et ne répondaient à aucun nom.
C’est l’histoire d’un jeune chasseur de monstres poilus, qui voulait chasser son tout premier monstre poilu sans l’aide de ses parents. Il s’est tenu longtemps immobile et silencieux au sommet de la montagne, aussi immobile et silencieux que les rochers autour de lui. Mais pas de monstre poilu aux alentours.
Le jeune chasseur, arrivé au bout d’une longue attente, a compris son erreur : pour chasser un monstre poilu, il faut lui faire croire que c’est lui qui vous chasse. Il faut l’attirer au lieu d’attendre sagement son passage. Alors le jeune chasseur s’est mis à chantonner tout bas en agitant une minuscule cloche qui tintait gentiment.
Alors un monstre poilu est apparu. Un monstre poilu tout petit et tout pataud. Qui venait, pour la première fois de sa vie, chasser un humain tout seul comme un grand.
Le jeune chasseur et le petit monstre poilu se sont regardés, yeux dans les yeux. Très intimidés, l’un comme l’autre. Très curieux, l’un comme l’autre. Très émerveillés, l’un comme l’autre. Ils sont restés si longtemps, chasseurs et proies, regards rivés, que le temps, agacé, les a pétrifiés.
D’ailleurs, je vous invite à regarder à votre gauche. Vous verrez un rocher, petit, ramassé sur lui-même, avec deux éclats noirs : c’est le jeune chasseur. Et en face de lui, sur votre droite, vous pourrez observer un rocher plus grand, le seul couvert de mousse et de lichen sur le sommet de cette montagne : il s’agit du petit monstre poilu. Je vous laisse quelques minutes pour les contempler de plus près, ne les touchez pas, sait-on jamais, et nous poursuivrons ensemble notre randonnée.