La fin d’un monde

La lumière ne s’est pas allumée aujourd’hui. À peine avons-nous pu observer un éclaircissement blafard de l’eau, qui nous a fait pensé que le soleil s’était levé. Nous avons attendu en vain que tombent les petites proies que nous chassons, quand la lumière s’allume et juste avant qu’elle ne s’éteigne.

Nous avions appris à nous repérer dans ce nouveau monde. Nous avons changé plusieurs fois d’univers, tous les trois, depuis notre éclosion. Nous avons perdu de nombreux frères, de nombreux camarades rencontrés au hasard des enlèvements successifs. Mais depuis quelques mois, un quatrième nous avait rejoint et nous étions restés ensemble dans cet espace ma foi plutôt agréable. Nous avions appris à le décoder. D’abord l’aube grisâtre, qui peine à percer jusqu’à nous, puis la lumière vive qui nous permet de voir à merveille, la chasse, puis un long temps sans perturbation, fait de nage, de jeux, de recherches assidues dans les graviers. De nouveau la chasse, puis la lumière qui s’éteint, mais une autre la relaie, plus loin de nous, qui éclaire les bordures de l’univers. À ce moment là, nous observons les mouvements désordonnés d’étranges créatures. Puis la nuit est noire, nous pouvons dormir.

Le même cycle s’est répété tous les jours pendant trois mois. Aujourd’hui pourtant, la lumière ne s’est pas allumée. Nous n’avons pas chassé. Nous avons fouillé le sol, sucé les plantes toute la journée pour trouver de quoi subsister. Nous avons léché les algues, déraciné des tiges pour ne manquer de rien si la situation devait durer. Nous avons tenu conseil, dans la pénombre. Le bord du monde non plus ne s’est pas éclairé. Peut être sommes nous livrés à nous mêmes dans un monde sans lumière et sans proie, mais il nous semble avoir vu des ombres bouger.

 Tout à coup, c’est la panique ! Des chocs résonnent sur les parois de notre monde. Un être maléfique a surgi de la bordure et tape, avec une longue excroissance qui semble prévue à cet effet, sur notre monde. Comme s’il voulait l’ouvrir et nous attraper. Comme s’il nous voyait. Nous nous précipitons derrière un bosquet de plantes, et restons immobiles pendant des heures, ressentant l’écho et les vibrations de chaque attentat contre notre univers. Enfin, aussi soudainement que le monstre a surgi, la lumière du bord du monde s’allume, l’être maléfique disparaît dans un tourbillon orangé.

De très nombreuses proies s’agitent à la surface de l’eau, la lumière s’est rallumée. Il s’agit peut-être d’un piège. Dans le doute, nous attendrons la nuit noire pour les chasser, à l’aveugle, certes, mais elles n’ont nulle part où se cacher, non ?

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