Le regard droit, le menton relevé, Alex marche au pas, entourée de ses nouveaux collègues. Tandis qu’un frisson remonte le long de son épine dorsale, elle s’efforce de rester stoïque. Intérieurement, un sourire s’épanouit même si elle soigne son professionnalisme de façade. Le bruit des bottes en cadence sur l’asphalte la réjouit, elle qui a si longtemps traîné ses baskets en solitaire.
Elle a rejoint l’armée un peu par hasard. Un recrutement avait lieu sur le parking de la Mairie dans la cité balnéaire où elle travaillait comme vendeuse sur le marché. Pour s’occuper une après midi pluvieuse, elle est passée voir les militaires. Un peu pour draguer, un peu par désœuvrement, pour attendre l’heure de l’apéro ailleurs que devant la télé.
Sous la grande tente de recrutement, elle a eu comme un choc. Chacun avait l’air d’y être à sa place. Elle n’a vu personne empoté à ne pas savoir quoi faire de ses dix doigts. Elle a senti la fraternité, la camaraderie filer entre les jeunes. On lui a parlé des missions de la défense, de l’utilité qu’elle aurait en coordonnant ses efforts avec son équipe. Protéger la population. Servir son Pays. Elle n’a pas demandé contre qui ni comment. Elle a essayé.
En recevant son uniforme, les souvenirs de ses trop nombreux petits boulots sont remontés par vagues. Agent d’entretien, caissière, serveuse, cuisinière de fast-food… À chaque fois, une blouse, un polo, un tablier, un badge lui ont été remis. Avec la consigne de s’attacher les cheveux, que rien ne dépasse. En enfilant son uniforme, elle a prié très fort pour que cette fois-ci soit différente. Elle espère ne pas vivre les mêmes expériences, l’abrutissement par le travail, la négation totale de ses besoins les plus primaires et de sa personnalité, les petites humiliations quotidiennes qui font ressortir le pire en elle.
Et puis les exercices ont commencé. La première fois qu’ils ont parfaitement réussi une manœuvre, la première fois qu’elle a entendu qu’ils se déplaçaient réellement tous ensemble, chaque pas semblant venir de partout à la fois et résonnant dans ses os, ses tripes ont vibré à l’unisson. Plus puissant qu’un pogo pour se sentir en transe. Et s’il faut de la discipline, s’il faut de l’obéissance pour ressentir encore cet état de complétude, pas de problème. Elle suivra ce bruit qui comble le vide au fond d’elle. Elle sera ce bruit qui la ravit tant.