Imaginez de la pluie. Celle que vous voulez, du moment qu’elle finisse par vous tremper jusqu’aux os et foutre en l’air votre brushing. Une belle averse d’été qui vous surprend en terrasse et dilue votre bière. Un petit crachin qui fait mine de rien parce qu’il sait qu’il vous aura à l’usure. La morne pluie d’automne qui vous garde sagement derrière vos fenêtres et vous recroqueville pour les cent mètres qu’il vous reste à parcourir avant d’entrer dans le tabac. Figurez vous cette pluie jusqu’à sentir la peau des poignets collante et l’odeur de laine humide.
Et maintenant, imaginez que vous allez devoir marcher un kilomètre ou deux ou dix sous cette pluie, juste assez pour penser que c’est trop et que vous voulez troquer dix jours de vacances contre une serviette chauffée, même si par le plus pur hasard vous adorez marcher sous la pluie, surtout l’été. Évidemment, vous n’avez pas de parapluie. Pas de gros manteau imperméable et chaud et respirant avec super capuche. Et, parce que ça se termine toujours comme ça, vos chaussures prennent l’eau.
Je vous sens un poil découragés au bout du troisième kilomètre, d’autant que les nuages restent bien noirs et qu’un petit vent s’est levé. Alors, pour vous aider, disons qu’au moment où l’eau commence à vous dégouliner sur la nuque (alors qu’il vous reste encore un bout de chemin, courage !), vous croisez un mystérieux inconnu (qui n’a ni parapluie ni véhicule ni aucune autre raison d’être là que de servir ma narration). Et cet inconnu, pour des raisons très mystérieuses et assez urgentes, va vous remettre quelque chose que vous allez emporter avec vous jusqu’à votre destination.
Vous avez le droit de choisir ce qu’il vous confie, pourvu que ça ait beaucoup de valeur à vos yeux et que ça ne rentre pas dans vos poches, comme par exemple le manuscrit d’un auteur mort récemment, un chiot orphelin à peine sevré, l’unique exemplaire d’une aquarelle faite par un ami, tous vos résumés de cours de médecine alors que le concours est dans un mois, un sachet de thé ramené exprès pour vous de Chine, une baguette de pain, un vinyle dédicacé de Gainsbourg ou l’intégralité des lettres échangées par vos grands-parents pendant la guerre.
Et maintenant, marchez encore au moins une demi-heure avant de vous mettre enfin à l’abri. Avez-vous senti la pluie finir par imbiber votre manteau et votre pull au niveau des épaules ? Entendez-vous encore le splotch produit par l’eau entre vos orteils lorsque vous posez le pied droit au sol ? Sentez-vous les mèches de cheveux qui se collent au visage et glissent dans le cou ? Avez-vous trouvé le temps si long, finalement, une fois que vous étiez responsable de votre trésor ? Non, ne me remerciez pas. Mais pensez-y à la prochaine averse : si c’est vous le parapluie, alors, tout ira mieux !