Le miroir s’est tordu, renvoyant enfin une image acceptable des choses. Elle se mira longuement, méticuleusement, se tournant en tous sens afin de voir si les gens la percevraient enfin telle qu’Elle se pensait grâce à l’outil qu’Elle venait de façonner. Elle résista à l’envie de réorienter encore un peu le miroir pour se montrer sous un meilleur profil. Elle préférait l’image la plus fidèle à la plus valorisante. Et c’était tout à son honneur, même si la tâche était ardue, sinon impossible.
Lorsqu’elle se sentit assez sûre d’Elle-même, Elle décida de partir par monts et par vaux, se montrant dans son plus simple appareil, posant ainsi toute nue aux côtés de son miroir. Elle voulait être connue de tous, acceptée par le plus grand nombre. Non pas adulée ou idolâtrée, juste acceptée pour ce qu’Elle était, ni plus ni moins.
Mais partout où Elle allait, la même scène se répétait. Personne ne semblait La voir, seule au milieu de la foule. Lorsqu’enfin les gens l’apercevaient dans son miroir, ils essayaient de le décaler, le tordre, allant parfois jusqu’à le lapider dans l’espoir de le briser. Certains se détournaient d’eux, se masquant les yeux, comme éblouis, tandis que d’autres disposaient leurs propres miroirs, appareils photo ou caméras et réglaient consciencieusement leurs engins pour ne capter que ce qui les intéressaient.
Elle a bien tenté de persévérer, Elle a bien tenté de croire qu’ils n’étaient pas prêts, mais au bout d’un bon morceau d’éternité, Elle a fini par admettre l’évidence. Elle a compris que personne ne voulait d’Elle, qu’Elle serait à jamais une perpétuelle inconnue, incomprise voire même haïe, et que tout ce qu’Elle pourrait faire n’y changerait rien. Alors la Vérité abandonna. Elle se retira de ce monde et nul n’entendit plus jamais parler d’Elle.