Monsieur le juge, il faut que vous compreniez que si je suis ici devant vous aujourd’hui, ce n’est pas par volonté de nuire à M. C. Vous devez déjà le savoir, mais nous étions très amis, nous nous connaissons depuis l’adolescence et nous avons passé près de vingt ans ensemble. Il est très important pour moi que vous sachiez que je ne témoigne que pour le bien de mon ami. Que je m’inquiète pour lui. Je pense pouvoir dit que je le connais bien, oui. Et je vous avoue, Monsieur le juge, que j’ai peur qu’il ne fasse quelque chose de complètement stupide. Et dangereux. C’est l’unique raison de ma présence ici devant vous.
Oui, vous trouvez que je digresse, mais il me coûte vraiment de faire ce que je m’apprête à faire. Je sais que ce témoignage enterrera pour longtemps ce qu’il reste de notre amitié, mais je tiens à le faire, justement au nom de cette amitié. Il n’aimerait pas que je le laisse dériver comme il le fait.
Donc oui, j’en viens au fait. Oui, c’est moi qui ai demandé cette entrevue et je vais vous dire ce qui m’inquiète. Depuis quelques semaines, son comportement a changé du tout au tout. Il ne veut plus me voir, sa femme ne dit plus rien non plus, je la trouve très effacée. Son niveau de vie a fait un bond, je l’ai trouvé nerveux la dernière fois que je l’ai vu. Et sa femme, sa femme qui était si rayonnante… Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, elle est pâle, elle a maigri, elle ne parle plus. Alors, voilà, je me suis dit qu’il avait eu une forte entrée d’argent, de manière louche, peut être même illégale. Que ce secret pèse lourd sur Mme C. et que M. C. sait très bien que s’il me voyait plus souvent je découvrirais tout. Plutôt que de me mettre dans la confidence, il a préféré me tenir à l’écart, pour me protéger, je pense. C’est louable, mais voilà, je m’en fais vraiment pour lui.
Comment? Si je lui en ai parlé avant de venir ici? Oui, bien sûr, j’ai essayé. Il a toujours éludé la question et dernièrement il ne répond plus du tout à mes appels. Sans ça, je ne serais sans doute jamais venu, vous comprenez bien… Si j’ai envisagé la possibilité qu’il y ait une autre explication? Oui, bien sûr, j’ai tout passé en revue avant de franchir le pas. Pour qui me prenez-vous, voyons ! Si… Quoi?! Si je sais qu’il a déposé une plainte contre moi pour harcèlement? Pour harcèlement? Je ne comprends pas du tout où vous voulez en venir… Non, je ne me rappelle pas qu’il ait gagné au loto, qu’est-ce que c’est que cette histoire, enfin ! Vous cherchez à m’embrouiller, ce n’est pas très professionnel pour un juge, Monsieur le magistrat. Vous pensez vraiment que je l’ai supplié jour et nuit pour qu’il me donne encore un peu d’argent? Il ne m’a jamais rien donné du tout, vous déraillez complètement. Et évidemment que sa femme n’est pas malade, je le saurai, je suis leur meilleur ami, Monsieur ! Ma parole contre la sienne? Vous vous êtes fait retourner le cerveau, sauf votre respect m’sieur. Laissez-moi, maintenant, ça suffit. J’ai des droits, Monsieur, j’ai des droits ! Arrêtez, laissez-moi…