Une semaine en Écosse

Nous sommes arrivés ce matin pour notre semaine de vacances annuelle. Cette année, nous nous réunissons dans un chateau écossais, dont nous avons réservé l’aile nord. Nous sommes une dizaine à nous retrouver ainsi, tous les ans, tous de la profession. Mais lorsque nous arrivons ce matin, nous ne parlons pas boulot, non, mais plutôt belles pierres et paysages.

Après nous être installés, chacun dans une pièce de l’aile, nous prenons notre repas du midi dans la grande salle. Nous avions emporté chacun de quoi faire un buffet froid, et ce premier repas ensemble nous permet d’évoquer les bons souvenirs. Notre voyage en Transylvanie, notre séjour dans le Gévaudan, notre visite de l’Egypte. Nous prenons de nos nouvelles, qu’avons nous fait pendant l’année écoulée, où sont ceux qui n’ont pas pu venir cette année?

L’après midi est réservé pour une réunion, la seule de nos vacances, où nous échangeons les trucs et astuces pour mieux travailler, et nos anecdotes croustillantes… Aux alentours de 16h30, nous prenons le thé quand un grand bruit nous interrompt. Un bruit de rires, un bruit d’enfants qui nous glace les os. Nous avions réservé l’aile pourtant, on ne devrait rien entendre, et en tous cas pas ces cris de joie d’enfants en liberté. Je sens que certains vont faire des cauchemars cette nuit…

Nous reprenons nos discussions, mais l’ambiance a changé. Nos anecdotes nous font moins rire. Nous sommes surtout moins crédibles en racontant comment nous avons terrorisé un village ou une maison alors que nous tremblons comme des feuilles en entendant les voix de bambins de quatre ou cinq ans. Le château, que l’on disait hanté -et pour cause, c’est la demeure de notre hôte, ectoplasme de son état- nous apparait menaçant.

La semaine risque d’être longue, très longue…

Derrière le rideau

Nous sommes arrivés il y a trois heures et demie pour mettre en place le décor, nous costumer, nous maquiller et attendre dans le calme relatif des coulisses. Notre niveau de trac est inversement proportionnel à la quantité de choses à préparer. Lorsque nous pensons être prêts (évidemment non, nous ne serons jamais prêts, mais lorsque nous pensons que nous ne pouvons rien faire de plus), le stress est à son comble. Il ne reste que dix minutes avant l’arrivée du public, environ une demie heure avant le début de la pièce. Sophie, Anna, Pierre et Robin s’isolent, Maria, Stan et Julie ont besoin de contact pour ne pas paniquer. Moi, je savoure ce moment où il n’y a plus qu’à attendre que la magie opère. Les minutes filent comme des secondes, déjà le public s’installe petit à petit. Il faut penser à rester invisibles, mais on entend l’agitation, le bruit des conversations courantes, rires à peine étouffés. Pour eux une soirée banale. Un ciné, un bowling, une pièce de théâtre amateur, peu importe du moment qu’ils passent un bon moment ensembles. Pour nous les ventres noués. Et si on était mauvais, et si nos collègues de travail étaient là, et si notre idée n’avait rien d’original, et si le petit nouveau si mignon me voyait me ridiculiser…

Alors je ne résiste plus, je m’approche du rideau, l’écarte à peine, juste assez pour entrevoir le public, et des yeux je parcours l’assistance en quête d’une tête familière. J’aperçois ma famille, elle est dans le fond, pas super bien placée, j’espère qu’ils ne rateront pas les moments-clé. Mon voisin est au premier rang, à croire qu’il est arrivé bien en avance… Je ne trouve pas mes amis, peut être qu’ils ne viendront pas finalement… Je ne sais pas si ça me rassure ou me désespère, je suis un peu déçue en fait… Je referme le rideau, retourne en coulisses, vérifie les costumes de mes partenaires, leur demande de tout vérifier pour moi.

Il est l’heure, le metteur en scène annonce la pièce au public. Vite, faire le vide dans ma tête. Vite, me placer au bon endroit. Vite, me rappeler mes premières répliques. Trop tard, les coups sont frappés et le rideau se lève.

Tournée

“C’est ma tournée !” annonce le patron de la boite où je travaille. Resto entre collègues, je ne sais pas s’il parle du repas ou des apéritifs que vient de nous apporter la serveuse. Je suis nouvel arrivant dans cette entreprise, stagiaire depuis une semaine et pour neuf mois, je ne veux pas me faire remarquer et ne pose pas la question. Dans le doute, au moment de commander, je prends un plat du jour, que j’envisage de ne compléter qu’avec un café, histoire de me donner contenance au moment du dessert, lorsque mes collègues plus fortunés feront bombance.

Au cours du repas, j’essaie de prêter attention aux conversations qui fusent autour de moi, je n’ose placer les remarques que j’ai en tête, je me fais violence pour ne regarder que le contenu de mon assiette et non les plats qui défilent devant moi. Je me fais mentalement la réflexion que mes collègues gagnent bien leur vie, mais comme mon plat n’est pas mauvais, je ne me plains pas trop.

En fin de repas, j’ai fait connaissance avec mes proches voisins, je me sens plus détendu et j’ai même sorti une ou deux blagues. Je suis heureux d’avoir participé à cet évènement organisé par la boite, j’en fais part à mes collègues. Lorsqu’ils me disent que c’est une formidable occasion de s’en mettre plein la panse aux frais de la princesse, je comprends deux choses : non, ils n’ont pas les moyens de se payer ce genre de repas en temps normal, et oui, c’est le patron qui nous invite, j’aurais pu en profiter au lieu de manger cette stupide bavette à l’échalote. D’ailleurs mes collègues sont surpris de me voir aussi peu gourmand, ils pensaient vraiment que le message était clair et voient en moi le gars désintéressé qui les fait passer pour des opportunistes.

Ca commence bien…

Sélection

“Alors les petits, vous avez intérêts à être beaux. Ceux qui ont l’air fatigués, ceux qui n’ont pas une belle tête, vous sortez  ou votre mauvaise mine se répercutera sur tout le groupe. Toi, là, tu as une tache, tu sors. Toi, tu as l’air tout ramollo, tu sors aussi. Vous qui avez l’air super en forme, bien lisses et fermes, vous passez devant. Montrez vos belles frimousses et donnez leur envie, nom d’une pipe ! Bon allez, tous ceux qui ont été éliminés, suivez moi, on va se débarrasser du superflu. Allez hop, poubelle, et que ça saute !”

Monsieur René regarde une dernière fois son étal, le juge satisfaisant, et retourne derrière son comptoir accueillir ses premiers clients.

La vie en chantier

Construire sa vie, brique après brique, monter les murs, ouvrir des portes, prévoir un toit pour se protéger et terminer par la déco. Être satisfait de son oeuvre ou recommencer différemment, ne pas s’enfermer mais au besoin abattre des cloisons, rajouter des baies vitrées, déménager. Tout raser de fond en comble ou conserver les fondations, laisser son travail derrière soi dans l’idée d’y revenir, ou vendre pour que le tout puisse profiter à d’autres. Ne pas se limiter dans le temps ne pas s’occuper de l’espace, juste construire ce que l’on a en tête, ce qui nous fait plaisir, ce que l’on veut. Prendre en compte trop tard les exigences du terrain ou les laisser déterminer l’évolution du chantier, obtenir au bout du compte un pavillon bien calibré.

Se rendre compte au final que le chantier, c’est la vie, et que la fin importe peu.