Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 17 –

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Semblant s’endormir sans pour autant cesser de ronronner, Joe sonda l’esprit de l’homme. Il se rendit ainsi compte, tout naturellement, qu’un chat peut tout à fait visiter les pensées des humains du moment qu’ils sont synchrones, sans que l’humain en ait conscience.

Dans l’esprit du jeune Pierre-Henri, il découvrit beaucoup de vivacité masquée par une carapace d’indolence. Une identité mouvante, accrochée à des détails superficiels ou à des traits de personnalité profonds, une férocité mal domestiquée, un orgueil immense mais terriblement fragile, une fausse insolence pour combler un manque d’assurance. Il observa avec beaucoup de tendresse le caractère fougueux de la jeunesse de son ami, se sentant brusquement très proche de lui.

Un point dissonant attira son attention. Au cœur émotionnel de son compagnon, il vit l’empathie emprisonnée sous un filet gluant, s’empêtrant de plus belle lors de chacune de ses faibles tentatives pour se débattre. N’écoutant que son courage, Joe planta une griffe, fine et particulièrement aiguisée, dans le piège de toile.

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Joe ne savait que faire. La lumière Pierre-Henri le chauffait et, vibrant directement au cœur de Joe, lui soutenait que les hommes disaient vrai. Mais que quelque chose en eux était faux, abîmé, vicié. Qu’il fallait arracher à chacun d’eux la petite portion ajoutée par la Tigrée qui dénaturait et épouvantait son ami. L’âme de Pierre-Henri n’accepterait de retrouver un corps uni que lorsque toute trace de la sorcière aurait disparu.

Alors, entrevoyant enfin un moyen d’action, Joe se sentit moins impuissant. Il allait tout faire pour aider son ami. Il commença par s’éloigner légèrement du groupe des trois Pierre-Henri, s’assit au milieu d’une petite cour aménagée dans les cristaux de la géode, et miaula avec insistance jusqu’à ce que le plus jeune des trois hommes s’approche de lui. Il continua de miauler dans la direction du chevelu, patiemment, inlassablement,  jusqu’à ce que celui-ci le prenne dans ses bras et l’assoie au creux de son coude replié. Alors Joe ronronna de toutes ses forces, les yeux à demi fermés, et synchronisa son rythme respiratoire sur celui du jeune Pierre-Henri.

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Avant que Joe ne réagisse, une boule de lumière bleutée sortit du corps du canaroïde et alla se nicher sous son bandana tout contre son poitrail, pulsant faiblement. L’homme reposa le corps inanimé de Pierre-Henri, son regard se voila légèrement. Il se tourna vers Joe : “Apparemment, j’ai une grande confiance en toi. Je ne veux aucun mal à ton ami, je veux juste que nous soyons plus forts ensemble. Comme gage de ma bonne foi, je vais te présenter aux deux autres”. Et il repartit vers les deux hommes, toujours immobiles dans un coin de géode.

Joe hésita longtemps à avancer. Puis la boule de lumière bleutée sortit de son abri pour l’inciter à suivre l’homme, avant de regagner la chaleur du poil de son ami. Joe revint donc vers ces hommes sans odeur. Il toucha le plus jeune d’un bout de truffe intrigué et le plus vieux en enroulant sa queue autour de son mollet. Les trois hommes réanimés se serrèrent par les avants-bras, en cercle, puis le plus malade reprit la parole.

“Nous sommes Pierre-Henri. Tous les trois. Sa jeunesse, son état actuel et un avenir possible, qui n’adviendra que si je guéris. Et je ne peux guérir qu’avec ton aide”.

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Joe s’approcha des trois hommes en humant l’air, mais ils n’avaient pas d’odeur particulière, seul flottait le parfum de Pierre-Henri dans la géode.
Arrivé à la hauteur de l’homme malade, Joe le toucha du bout de la patte, appuyant doucement sur sa chaussure. Aussitôt, celui-ci s’anima. Il marcha laborieusement vers Joe, qui recula précipitamment, continua dans la géode, un pas à la fois, le regard fixé sur son objectif. Joe comprit qu’il allait vers le canard, et courut aussi vite qu’il le pouvait sur la pierre glissante pour le protéger. Aucun changement n’était notable chez son ami.

Quand l’homme se tint devant eux, il était épuisé, une pellicule de sueur que l’on devinait glacée sur le visage. Il n’y avait aucune hostilité en lui, uniquement de la détermination. Il tendit la main, caressa Joe avec tendresse et souleva Pierre-Henri, le regard empli de nostalgie. Circonspect, Joe l’observait fixement. Puis l’homme parla à l’oreille de Pierre-Henri : “L’un de nous deux doit mourir, mon vieux. On ne peut pas s’éparpiller dans deux corps comme ça. Il faut choisir si on veut avoir la moindre chance d’un avenir.”

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Joe se sentit minuscule, glissant sur les cristaux éblouissants. Pierre-Henri était toujours inconscient; il l’installa confortablement dans un creux à l’abri de la lumière. Puis il essaya d’explorer les environs, plantant ses griffes dans la pierre pour ne pas tomber. Il était totalement entouré de stalactites, de stalagmites et autres concrétions de couleur bleue. La lumière ricochait sur les cristaux, l’aveuglant et le fascinant à la fois. Captivé par le spectacle de la géode chatoyante, il arrivant sans y prendre garde au niveau de trois hommes qui se tenaient immobiles et parfaitement silencieux.

Le premier était un jeune homme d’allure nonchalante, très chevelu et l’œil malicieux. Le deuxième était un homme d’âge moyen, qui semblait plutôt mal en point, les cheveux clairsemés, l’air de flotter dans sa peau, le cou d’un oisillon à peine éclos mais l’œil déterminé. Le troisième était un vieil homme chauve, très stable sur ses appuis, l’air serein, la moitié droite d’une tête de chat stylisée tatouée au creux du poignet gauche.