Conte de l’Avent – Comment Joe le cha(t)foin estourbit un canard poilu dans la géode chatoyante – 7 –

Pour avoir le début de l’histoire, c’est par ici.

Après ce premier repas, les deux compères devinrent inséparables. Ils fêtèrent Noël ensemble, se régalèrent d’un sandre fumé sur lit de vers de vase, dans un coin de bois rempli de houx pour la décoration.

Découvrant le plaisir sans partage d’avoir un ami, Joe s’épanouit et devint un joyeux drille, enchaînant les blagues et les gags, pratiquant l’autodérision et le comique de situation. Pour le nouvel an, il tressa ses poils à ceux de Pierre-Henri et ils passèrent ainsi une journée entière comme des siamois. Ils durent demander de l’aide à une huppe pour les séparer. Pour Pâques, il alla voler les œufs d’une oie et les recouvrit de terre pour les offrir à son ami, qui faillit se casser le bec dessus en voulant dévorer ces appétissants œufs en chocolat. La vie était douce et sereine, s’écoulant gaiement, un jour à la fois.

Puis revint l’hiver.

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Remarquant la présence de Joe, le canaroïde lui proposa spontanément un toast aux champignons. Joe, perplexe, lui demanda, au risque de paraître impoli, ce qu’il était.

“Je m’appelle Pierre-Henri et je ne saurais dire ce que je suis actuellement. Il y a peu, j’étais sommelier dans un grand restaurant parisien, portant un queue de pie avec de magnifiques dreadlocks. Comme mon patron me demandait de me couper les cheveux pour plaire à sa clientèle fortunée, j’ai démissionné. Je suis allée voir la voisine de ma memè en banlieue, qui m’avait souvent donne des coups de pouce dans mon enfance, la suppliant de m’aider à retrouver un emploi à la hauteur de mon nez, que j’ai fort fameux. En sortant de chez elle, j’ai dû m’enfuir : certains résidents mal intentionnés avaient clairement l’envie de me passer à la casserole. Depuis, je vis dans les bois, testant différents accords mets et rosée. Tiens goûte moi celle-là, elle a ruisselé pendant trois jours sur une feuille d’eucalyptus, elle apporte une note tres fraîche, presque minérale, à l’arôme puissant de sous bois de la poêlée. Tu m’en diras des nouvelles !” Et sans plus de cérémonie, Pierre Henri invita Joe à sa table.

Ému Joe ne se fit pas prier. C’était la première fois que quelqu’un d’autre que ses parents lui manifestait une réelle marque de sympathie. Il se présenta également, narra sa courte histoire et se prit même à ronronner devant l’intérêt manifeste de Pierre Henri.

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Il erra longtemps dans les égouts, trois jours ou dix minutes, il ne le sut jamais, et pour un chat transi de froid, affamé et apeuré, cela revient au même. Au bout de quelques fragments d’éternité, le tunnel où il déambulait déboucha à l’air libre. Méfiant, il sortit avec prudence, mais quand il vit qu’il était dans une forêt, sans humain en vue, il fut soulagé. Très vite, il trouva un abri sous les racines d’un arbre arraché. Épuisé, il se roula en boule dans les feuilles mortes et s’endormit.

Une odeur de champignons grillés, avec un soupçon de pain perdu, le tira de son sommeil. Intrigué, il inspecta les environs, et tomba nez à nez avec une bestiole très bizarre, visiblement en train de prendre un petit déjeuner. Cet énergumène était inconnu de Joe, pour qui l’ornithorynque était un animal de fiction, au même titre que le sphinx ou l’Hydre de Lerne. De loin, la bête ressemblait franchement à un canard. Tout y était : les courtes pattes palmées, le cou très flexible, la toute petite tête avec un bec aplati jaune-orangé, la forme globale du corps… Tout, sauf qu’à la place d’un plumage coloré, la bête était parée d’un pelage façon bobtail : de longs poils gris emmêlés sur tout le corps avec une frange qui lui retombait sur les yeux. Et qu’elle cuisinait au petit matin une poêlée de champignons des bois sur des toasts imprégnés de lait de biche, en sirotant un verre de rosée.

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Joe s’enfuit la queue entre les pattes, crachant son dépit et feulant de frustration. Passant habilement entre les vélos, scooters et voitures de la rue, il se rendit d’une traite au lycée. Là, il s’assit au coin fumeur jusqu’à la récréation, impatient de tester son tout nouveau charme sur ses camarades de classe, bien certain que Lola ne ratait jamais la pause clope.

Quand le troupeau de lycéens débarqua, traînant les pieds, haussant la voix, Joe lança quelques miaulements qu’il voulait irrésistiblement rauques. Les rires cessèrent, les regards se tournèrent vers lui, les yeux s’ébahirent, les nez se froncèrent. Puis les rires reprirent, assortis de petits noms affectueux, tels qu’avorton, paillasson, boule puante ou rat-taupe nu (lancé par un seconde qui sortait d’un cours sur la biodiversité en SVT). Lola tenta de prendre sa défense, l’attrapant contre elle par esprit de bravade, mais elle renonça quand Joe miaula de plus belle pour lui signifier son amour. Elle se boucha vivement les oreilles, laissant Joe à la merci de la cruauté de ses semblables. Quand les pierres, les crachats et les mégots allumés volèrent vers lui, Joe fila sans demander son reste, zigzagant éperdument, la panique chevillée au corps.

Il s’engouffra dans un regard d’égout, glissa sur deux mètres dans une eau boueuse et se hissa tant bien que mal sur un rebord qui ferait office de zone sèche, bien à l’abri des humains.

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Sans se décontenancer, Joe avança sur le toit d’une patte conquérante. L’assurance étant inhérente à la condition féline, il se sentait pousser des ailes. Il hésita juste quelques dizaines minutes, lissant son poil rêche d’une langue râpeuse ou humant aux quatre vents, avant de s’engager sur une corniche d’une vingtaine de centimètres de larges, six mètres au dessus du sol, lui permettant de rejoindre l’escalier, puis, enfin, la rue et la sécurité de son trottoir.

Il s’orienta assez rapidement et retrouva le chemin de chez lui au petit matin mais il fut malheureusement bloqué en bas de l’immeuble, le concierge essayant de le chasser à coups de seaux d’eau sale.

Dépité, il attendit 8h20 que sa mère parte au travail pour l’aborder. Elle semblait on ne peut plus normale, pas vraiment inquiète à l’idée que son fils ait découché… elle n’avait sûrement pas encore remarqué son absence. N’en pouvant plus d’attendre, Joe se jeta entre ses jambes, essayant de frotter sa tête contre ses bottes fourrées. Surprise, sa mère faillit tomber et lui donna un coup de pied par inadvertance. Puis, quand l’odeur pestilentielle du chat se fraya un chemin jusqu’à ses narines, elle lui en donna trois de plus pour qu’il s’en aille, vite, et loin.