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Texte écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture à L’Escalier

Une cage d’escaliers d’un immeuble HLM. La peinture jaune sur la rampe s’écaille. Le carrelage bon marché semble propre, comme s’il avait été lavé il y a quelques heures à peine. Dans l’air flotte une odeur de poubelles, de détergents bas de gamme et de friture. On trouve des graffitis sur les portes des vides-ordures, mais pas sur les murs. On est au niveau du palier du troisième étage. Il est 18h15, on est dimanche.

La porte de gauche s’ouvre, une fillette d’une dizaine d’années sort de l’appartement, claque la porte et vient s’asseoir sur les marches qui mènent au quatrième étage. Elle porte ce qui pourrait être un pyjama ou un jogging. Ses yeux sont rouges, elle tremble, prend ses genoux dans ses mains.

Du bas remonte vers le quatrième une adolescente d’une quinzaine d’années. Elle est vive, elle monte les marches deux à deux. Elle porte un sac à dos, un jean, un T-Shirt, un blouson de simili-cuir. Ses joues rouges paraissent fraîches, elle a de grands yeux rieurs et un sourire qui lui traverse le visage.

Arrivée au niveau de la fillette, l’adolescente s’arrête. Elle hésite un instant puis choisit de rester. Elle s’assoit à côté de la petite en demandant “je peux ?”. La fillette hausse les épaules. Chacun est libre de faire ce qu’il veut et l’ado n’a pas l’air méchante.

“Ça fait longtemps que tu es sur le palier ?” Nouveau haussement d’épaules. Pas trop. “Tu es enfermée dehors ?” La petite fait non de la tête. “Tu ne veux plus rentrer chez toi ?” Encore un hochement de tête, avec les larmes qui montent dans la gorge. L’ado est intriguée. Elle connaît la petite de vue, elle a emménagé dans l’appartement en dessous du sien il y a deux mois, mais elles n’ont jamais eu l’occasion de parler pour l’instant. Elle devrait rentrer chez elle, sa mère l’attend, mais quelque chose dans le regard de la petite la retient, l’émeut.

“Tu veux me dire ce qui ne va pas ?” Cette fois-ci, les larmes sortent, en cascades de sanglots désordonnés. Ça bouchonne dans la gorge serrée et les pleurs s’accompagne des tremblements que la petite contient depuis tout à l’heure. La douceur de la grande, venue tapoter sa cage de solitude, a fait exploser ses digues. Son chagrin sort à gros bouillons, elle n’essaie même plus de garder contenance.

L’ado fait la seule chose qui lui paraît pertinente sur le moment. Elle prend la petite dans ses bras et la serre contre elle. Pose ses lèvres sur la petite tête en faisant shhh, shhh, ça va aller.

Lettre à des amis

Texte écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture à L’Escalier

La nuit, le désespoir, l'horreur indicible, je me tourne vers toi 
Nous sommes sans mot, sans voix, mais nous sommes là, catapultés en bord de vie mais ensemble
Enlacés par le regard, par la chaleur partagée, par les bras qui agrippent, les bras qui repêchent, les bras qui abritent, les bras qui retiennent ce monde qui s'effondre.
Parmi les nuits blanches à écoper nos larmes 
Parmi les heures sombres où la vie tremble en grand fracas.
Quand le monde se colore en bulles fragiles qui éclatent au moindre rire, 
Quand réapprendre la joie est trop insoutenable,
Quand chaque victoire, chaque pas en avant se paie de terreurs, de prostrations, d'abandons, 
Tu es là.
Tu me donnes sans compter l'appui d'un mot, le réconfort d'un câlin, la patience de tes silences.
Et quand les sourires reviennent sans se teinter de larmes,
Quand la joie ne pique plus le cœur mais se partage sans équivoque,
Quand je suis assez forte pour te venir en aide à mon tour,
Quand les projets cascadent à nouveau,
Tu es là, encore.
À toi mon ami, mon veilleur de vie,
À toi mon amie, veilleuse qui tremble dans la nuit,
Merci.

L’île en moi

Texte écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture à L’Escalier

J’étais couché, les mains croisées sur le cœur, étrangement heureux d’être. Le tic-tac de l’horloge répondait au plic-ploc des gouttes d’eau sur la toiture d’ardoises au dessus de la chambre. Je me sentais en paix pour la première fois depuis longtemps, tel un naufragé ayant trouvé une île après des jours d’errance. Qu’importe si dehors la pluie menaçait d’être diluvienne. En moi la paix prenait ses quartiers. Au terme d’une longue convalescence où mon corps et mon esprit s’étaient livré bataille avant de se réconcilier in extremis, au point d’équilibre entre la mort et la folie.
Allongé sur mon lit, les mais sur le cœur et les yeux clos, je pouvais sentir entre mes doigts le fantôme de mon doudou disparu, celui qui m’accompagnait partout enfant. Celui qui m’a donné la force de grandir et dont le souvenir m’a donné la force de guérir.
Alors, j’ai ouvert les yeux, me suis relevé, et j’ai vu sur mon lit les chaînes qui avaient servi à m’immobiliser, désormais inutiles.
Personne dans la pièce à part moi. 
Les bruits de l’horloge et de l’eau comme seuls compagnons. Les souvenirs confus de mains fraiches sur mon front, contrastant avec la fournaise qui me consumait tout entier. 
J’ai ouvert la porte, descendu les escaliers vermoulus, puis me suis assis sur le fauteuil du vestibule, faible comme jamais. 
Ma cousine m’a trouvé là, une minute ou une heure plus tard, comme un oiseau dormant sur son fil. Comme elle l’avait fait ces derniers mois, elle a pris soin de moi, m’a nourri, m’a enveloppé d’une couverture avant de m’allonger dans le lit du rez de chaussée, celui sculpté par mon grand-oncle qui était menuisier. 
Je n’ai pas eu la force de lutter, en échange, elle ne dirait rien de mon escapade à mon médecin. ce serait notre petit secret. Pas le premier entre nous, loin de là. Les pierres du foyer derrière la grange de mon paternel s’en souviennent encore. Toutes nos confidences adolescentes au coin d’un feu de camp.

Quand je me suis réveillé à nouveau, ma cousine avait disparu. J’ai fait l’état des lieux de mon esprit, de mon corps, de la tête aux pieds. Encore la sérénité, le même bonheur qu’auparavant. Que je n’aie pas une entière liberté de mouvements dans ma propre maison ne m’émeuvait pas tant que ça. je sus resté allongé, j’ai remis les mains sur mon cœur et j’ai refermé les yeux. Puis, paisiblement, je suis parti à la dérive sur mon océan.

Le rocher blanchi de la solitude

Texte écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture à L’Escalier, consigne : faire disparaître le poème “le rocher de la solitude”, d’Edmond Jabès

Dans la nuit, le bruit d’une cascade, sous la lune.
Le bruissement des arbres, le vent dans leurs feuilles, les pépiements des oiseaux.
Il y a là deux écureuils, vifs et alertes, malgré l’heure plus que tardive.
Dans la forêt, ils sautent de cime en cime, cavalent sur les cailloux, slaloment entre les pièges tendus, les bûches fendues, prêtes à se rompre et à les engloutir.
Il y a un cul de sac, les écureuils semblent s’envoler, grimpent sur une liane, pont entre terre et ciel, à l’usage des plus agiles.
Le soleil tarde à venir, sa chaleur ne peut pour l’instant apaiser nos tremblements.
Il y a ma blessure qui me lance, plaie ouverte que j’ai tenté de suturer avec des liens improvisés. La fièvre me gagne. Elle est un drap de solitude entre le monde et moi.
Il y a ta fièvre, plus ancienne encore, qui t’accompagne depuis qu’enfant, tu chantais en riant les lettres de l’alphabet dans le désordre, toujours.
Un instant passe. Mon délire emporte le peu de biens que je pensais miens. Nos mains se lient, et se délient, au rythme de nos grelottements. La nuit se joue de nous.
Les écureuils virevoltent de-ci de-là. Ce sont les témoins de ma douleur. Ce sont les complices de ta joie. Ta joie de me voir te rejoindre, partager une étreinte, ivres de la même solitude. Enfin.

Histoire de chasse

Texte écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture à L’Escalier

L’histoire s’est passée à une époque où le temps n’était pas encore compté, pesé, mesuré, domestiqué.

À cette époque, les humains côtoyaient trois types de monstres : les monstres à écailles, les monstres visqueux et les monstres poilus. 
On trouvait les monstres à écailles dans l’océan, aux abords de certains fleuves et dans les zones tropicales. Les monstres visqueux habitaient les déserts, les marécages, les savanes. Et les monstres poilus régnaient sur les montagnes, les banquises et les forêts.

L’histoire qui nous intéresse s’est déroulée au sommet d’une montagne sans nom, car à cette époque les lieux étaient encore sauvages et ne répondaient à aucun nom.

C’est l’histoire d’un jeune chasseur de monstres poilus, qui voulait chasser son tout premier monstre poilu sans l’aide de ses parents. Il s’est tenu longtemps immobile et silencieux au sommet de la montagne, aussi immobile et silencieux que les rochers autour de lui. Mais pas de monstre poilu aux alentours.
Le jeune chasseur, arrivé au bout d’une longue attente, a compris son erreur : pour chasser un monstre poilu, il faut lui faire croire que c’est lui qui vous chasse. Il faut l’attirer au lieu d’attendre sagement son passage. Alors le jeune chasseur s’est mis à chantonner tout bas en agitant une minuscule cloche qui tintait gentiment.

Alors un monstre poilu est apparu. Un monstre poilu tout petit et tout pataud. Qui venait, pour la première fois de sa vie, chasser un humain tout seul comme un grand. 

Le jeune chasseur et le petit monstre poilu se sont regardés, yeux dans les yeux. Très intimidés, l’un comme l’autre. Très curieux, l’un comme l’autre. Très émerveillés, l’un comme l’autre. Ils sont restés si longtemps, chasseurs et proies, regards rivés, que le temps, agacé, les a pétrifiés.

D’ailleurs, je vous invite à regarder à votre gauche. Vous verrez un rocher, petit, ramassé sur lui-même, avec deux éclats noirs : c’est le jeune chasseur. Et en face de lui, sur votre droite, vous pourrez observer un rocher plus grand, le seul couvert de mousse et de lichen sur le sommet de cette montagne : il s’agit du petit monstre poilu. Je vous laisse quelques minutes pour les contempler de plus près, ne les touchez pas, sait-on jamais, et nous poursuivrons ensemble notre randonnée.