Rentrée d’Enfer

Dimanche soir, Dieu referme sa valise. Il vient de passer une semaine de vacances aux enfers avec Satan et s’apprête à remonter s’occuper de Ses divines affaires. Un pincement au cœur, Il hésite. S’Il restait un peu plus en bas, qui se rendrait compte de Son absence ? S’Il envoyait Satan présider Son Royaume à Sa place, cela ferait-il une réelle différence ? De par Son expérience, le Bien et le Mal ayant tendance à s’entremêler sur le long terme, pourquoi ne pas tenter l’alternance ? Avec un profond soupir, Dieu se résigne. Ses voies ont beau être impénétrables, Il sait que le monde parait bien assez compliqué aux yeux des mortels, Il n’a pas besoin de brouiller les cartes plus que de raison. Un dernier adieu teinté de regrets à Son âme sœur maudite et Le voilà rentré parmi les Siens.

Samedi matin, Dieu est songeur. A-t-Il rêvé ? Seulement cinq jours de passés, une brève inspiration au regard de Son éternité, mais Son séjour lui paraît bien lointain. S’est-Il vraiment enivré jusqu’à ne plus savoir Son nom, s’est-Il vraiment vautré dans la luxure chaque nuit jusqu’à envisager la débandade avec soulagement, a-t-Il réellement été ébloui par les merveilles trompeuses contre lesquelles Il met les mortels en garde, a-t-Il dansé, fabulé et mangé à tout-va jusqu’à sentir la vie envahir Sa sainte carcasse, a-t-Il torturé par curiosité et a-t-Il pris plaisir à être supplicié jusqu’à accepter la douleur comme témoin de son intégrité physique et mentale ?

Tout cela Lui semble un peu flou, de ce côté de la réalité. La routine et les responsabilités n’ont pas tardé à Le rattraper. Aussi passionnante et exaltante que soit Son existence, elle ne laisse pas vraiment place au futile, à l’inconscience, à la sensualité. Déjà, abruti par Ses devoirs, Ses sentiments s’érodent et Sa petite parenthèse est effacée. Il pense qu’Il n’a même pas envoyé de carte à Satan pour dire merci. Puis, même ça, Il l’oublie. Prochaine pause dans quelques siècles.

Tout petit moineau

Dans le vent et sous la pluie, le tout petit moineau ébouriffe ses plumes, improvisant une crête le long de son épine dorsale, pour se sentir plus gros et s’imperméabiliser. Il respire un grand coup et prend son envol. Il tourne et tourne sans contrôler sa trajectoire. Apeuré, le tout petit moineau se raccroche à la première branche qui passe à sa portée. Il se tient fermement. Reprend contenance. Attend une accalmie, qui ne vient pas. Une patte après l’autre, le tout petit moineau escalade l’arbre sur lequel il a trouvé refuge. Son cœur cogne fort sous ses côtes. Dans le vent qui siffle et mugit, le tout petit moineau pépie de plus en plus fort, pour accompagner son adversaire du jour. Jusqu’à hurler sa terreur, son envie de vivre, sa rage de voler malgré la tempête qui gronde. Jusqu’à déclencher une décharge d’adrénaline et s’élancer dans le vide de la cime du sapin. Pendant sa danse terrible avec l’orage, le tout petit moineau poursuit ses hurlements, ravi de sentir le sang qui tourbillonne dans ses veines et son cœur qui tambourine. Les heures passent. Le tout petit moineau et le vent, à bout de souffle, s’apaisent enfin. Le tout petit moineau ne sait pas où il est, tellement loin de son point de départ, il ne reconnait rien. Il est épuisé et se laisse tomber dans un buisson, vidé. Avant de sombrer dans le sommeil ou le coma, une lueur éclaire son œil. Il est vivant.

Le pouvoir des fleurs

Rose s’étire ce matin et redresse la tête. La sève lui monte aux pétales et perle en son cœur. Précautionneusement, elle absorbe chaque goutte de rosée. Puis elle rougit sous le soleil matinal, ses couleurs éclatent dans le buisson d’un vert profond. Tout est parfait pour le réveil de la maîtresse de maison, qui partira au travail un sourire aux lèvres.

Liseron s’enroule et progresse de jour en jour. Encore un mois et elle pourra quitter le bout de jardin où on l’avait initialement cantonnée. Feuille après feuille, elle étale sa tige souple et recharge ses batteries. Pour endormir les jardiniers débutants, elle produit de très simples et très belles fleurs blanches. Si belle et pourtant si nuisible, elle envahira tout sur son passage si l’on n’y prend garde.

Marjolaine prend des bains et diffuse ses pouvoirs à qui vient s’abreuver près d’elle. Vénérable sorcière, elle apaise les articulations et guérit les bedons douloureux, en modelant l’eau à sa façon. Garance colore le monde et habille d’un rouge profond les hommes qui partent en guerre. Églantine piège les haies de ses délicats piquants.

Mais si puissantes et diverses soient toutes ces fleurs, chacune risque de se faire couper net lorsque Foin, le chat de la maison, décide par amusement de tester le tranchant de ses dents sur leur délicates corolles.

El Niño

N’aie pas peur. L’adulte s’agenouille devant l’enfant. Tu ne risques rien, ne t’inquiète pas. Le casque, là, protège ta tête. Il y a même une visière pour mettre tes yeux à l’abri. Dans la caisse, là, tu trouveras ce qu’il te faut pour les bras, les jambes. Comme d’habitude. Tout est prévu pour ta sécurité, tu le sais, et tu n’es jamais tombé, si ? Tu es précieux pour nous, et nous t’avons sélectionné parce que tu es courageux, très vif et discret. Grâce à ce micro, logé dans ton casque, tu pourras nous parler si tu te sens nerveux. Pas plus fort qu’un murmure et nous t’entendrons. Souviens-toi de tes leçons et rien d’affreux ne t’arrivera. Tout se déroulera comme en entraînement, et tu choisiras ta récompense en revenant, comme promis. Je sais que tu es le meilleur et que tu ne nous décevras pas. Je compte sur toi, ajoute l’adulte en remontant le menton de l’enfant d’un index ferme.

L’enfant plante ses yeux dans les yeux de l’adulte. Une larme roule sur sa joue. …pas peur de mourir, peur de tuer, répond l’enfant dans un murmure en prenant l’arme que lui tend l’adulte.

La silencieuse-berceuse

Le tracteur avance lentement dans le champ d’à côté. Un ronron qui apaise et obsède, qui hypnotise au gré de ses allers-retours.

Dans le salon, Agnès Jaoui entame pour la troisième fois son album Canta. On ne change pas une équipe qui gagne.

Vers 13h, j’ai respiré très lentement, très profondément pour donner un rythme aux deux petits corps à mes côtés. En dix minutes, la plus jeune m’a suivie et s’est endormie à poings serrés très fort sur son doudou.

Pour la deuxième, il a fallu ruser. La maison trop grande, la peur de l’abandon, le besoin d’occuper l’espace sont trop de distractions pour une sieste à quatre ans.

Alors j’ai cédé sur en apparence sur à peu près tout. D’accord pour appeler Maman, lui dire “je t’aime”. D’accord pour laisser un rai de lumière sur les volets, je ne lutte pas contre la peur du noir. D’accord pour changer de pièce et laisser la petite dormir seule (c’est même mieux pour elle mais je ne le dirai pas). D’accord pour la musique, ça m’évitera de marcher sur des œufs pendant deux heures et ça atténue les sons de cette étrange maison. Enfin, d’accord pour dormir dans la balancelle plutôt que sur le canapé, c’est rigolo et on s’y sent à l’abri.

Petit à petit, elle est tombée dans mon piège. Une fois dans la balancelle, il ne m’a fallu que quatre ou cinq chansons à la bercer régulièrement pour qu’enfin les yeux cessent de s’entrouvrir, pour que le souffle se calme et que j’entende un léger ronflement. Nous voilà parties pour deux heures de tranquillité !

Il est 15h30, je n’ose toujours pas éteindre la musique de peur de troubler l’harmonie qui règne dans la maison. Va pour un quatrième sueno ideal si elles dorment jusqu’au goûter…