Non, c’est non

J’ai le droit de dire non, à moitié nue dans le lit d’un homme, parce que malgré l’alcool abrutissant, je me rends compte que je ne veux pas.

J’ai le droit de dire non, à moitié nue dans le lit d’un homme, parce qu’à la suite d’un mot, d’un regard où d’un geste, je n’ai plus confiance, je suis mal à l’aise.

J’ai le droit de dire non, à moitié nue dans le lit d’un homme, parce que j’ai changé d’avis, je n’ai plus envie. Même si j’ai déboutonné moi-même mon jean et dégrafé mon soutien-gorge.

J’ai le droit de dire non, à moitié nue dans le lit d’un homme, parce que finalement j’aime trop mon “officiel” et qu’il n’est jamais trop tard pour s’en rendre compte.

J’ai le droit de dire non, à moitié nue dans le lit de l’homme chez qui j’ai ramené une amie pour qu’on s’amuse à trois.

J’ai le droit dire non, à moitié nue dans les toilettes de la boîte où j’ai suivi les deux costauds qui me plaisaient pourtant il y a dix minutes.

J’ai le droit de dire non, à moitié nue dans le lit d’un client, parce que là, vraiment, c’est au-dessus de mes forces ; de lui rendre son argent et de me rhabiller.

J’ai le droit de dire non, à moitié nue dans le lit conjugal, même si c’est mon septième refus cette semaine.

J’ai le droit de dire non, complètement nue dans le lit d’un homme, les cuisses ouvertes ou à quatre pattes, parce que je n’aime pas vraiment ce qu’il me propose maintenant.

Et quand je dis non, c’est non. Même si, pour quelque raison que ce soit, je ne hurle pas. Même si je ne tape pas, ne mords pas, ne griffe pas ou n’émascule pas. Tout le monde n’y pense pas forcément au moment opportun.

Est-ce que je l’oblige, moi, quand il me dit non, à coucher quand même sous prétexte que s’il bande, c’est bien qu’il en meurt d’envie ? C’est pourtant connu, les hommes, ils ne veulent jamais vraiment dire non, ils aiment bien se faire désirer, c’est tout…

Le bout du toit

Est-ce qu’ils vivent tellement plus fort que les autres, qu’un creux de la vague leur paraît insurmontable, ces gens qui, arrivés au bout du toit, font quelques pas de plus ? Ou au contraire sont-ils à la recherche d’une ultime décharge d’adrénaline dans le brouillard de leurs existences ? Se sont-ils pris un train de vie en pleine face au lieu de le laisser glisser sur leurs remparts ? N’ont-ils plus la moindre lueur d’espoir qui les convainque que si demain n’est pas mieux qu’aujourd’hui, dans dix ans, peut être, ça va aller ? N’ont-ils plus aucune ressource pour rajouter quelques rayons de soleil à leur existence, plus aucune volonté de changer ce qui peut encore l’être ? Croient-ils vraiment qu’ils peuvent voler ? Sont-ils si fatigués qu’ils n’aient plus envie de se réveiller ? Croient-ils tant que ça en la physique et si peu en eux pour lui confier aussi aveuglément leur avenir ? Est-ce que pour eux le manque de raison de vivre devient une raison de mourir ? Est-ce qu’au fond, ça a tant d’importance, qu’ils prennent un peu d’avance sur l’échéance, alors que nous faisons tout pour allonger les délais ?

Happy end

Ils vécurent heureux et n’eurent pas d’enfant. Ils ne se marièrent même pas, ne se firent pas de promesse et ce n’est pas pour autant que leur histoire ne vaut pas le coup d’être narrée. Ils se sont rencontrés, se sont aimés, se sont confiés, ils ont bâti leur vie à deux, voguant de projet en projet, sans s’ennuyer un instant. Peut être se sont-ils séparés, peut être sont-ils encore ensemble à l’heure qu’il est. Peu importe. Au fond, est-ce si important, quand on s’aime autant, de s’aimer éternellement ? Toujours est-il qu’ils vécurent heureux ensemble et ne cherchèrent pas à se poursuivre dans des hybrides mi-lui mi-elle. Ils ne transmirent pas leurs gènes et leurs valeurs à de pauvres êtres sans défense. Ils ne touchèrent pas les allocs. Ils ne choisirent pas de prénom ni ne peignirent de chambre en pastel. Ils ne dirent pas à leurs amis, les cernes jusqu’au menton, à quel point ils étaient transformés ni à quel point leur vie prenait du sens maintenant qu’ils n’avaient plus de têtes-à-têtes. Ils ne partirent pas cinq ans de suite en village-vacances et ne cherchèrent pas de baby-sitter pour la St-Sylvestre. Ils ne paniquèrent pas à la perte d’un doudou ou d’une ‘tototte. Ils ne traitèrent personne d’ingrat et ne connurent pas chaque médecin de garde des urgences pédiatriques. Ils n’apaisèrent pas les terreurs nocturnes de petits bouts désorientés. Ils n’eurent pas de colliers de nouille ou de cadre photo en pâte à sel.

Ils considérèrent qu’il y avait bien assez de ciment entre eux pour ne pas se servir de bébés-mortier. Ils voyagèrent. Ils firent des rencontres. Ils vécurent comme bon leur a semblé. Ils se baladèrent dans les méandres de la vie, main dans la main et goûtèrent le suc de chacune de leurs expériences. Et s’ils n’eurent pas de petits-enfants à qui raconter leurs années de plénitude et de passion, ça leur fit une belle jambe. Ils trouvèrent quelques oreilles attentives auprès de leurs amis, quand leurs enfants à eux furent partis et qu’ils errèrent alors dans leurs maisons bien trop vides et silencieuses.

Monsieur Météo

Quand le temps est au beau fixe, les plus chanceux, les moins plaintifs, savent profiter, s’incoucient et projettent à tout va leur bonne humeur et leurs espoirs.

Par avis de tempête, les volontaires se révèlent, les errants s’occupent enfin, les électrons libres entrent de concert dans la mouvance. Le sentiment d’utilité cimente le tout et les fourmis se rêvent Titans.

Le temps maussade, quant à lui, érode les certitudes et ennuie les imaginaires. La grise mine persistante de quelques cieux vaut-elle vraiment les cernes qu’on arbore uniformément ? Est-il nécessaire de sortir l’artillerie lourde face à ce tout petit crachin ? Plutôt patienter de mauvais gré en attendant que ça passe. La passivité, alors, mine le corps et l’esprit, berne le moral et use les volontés.

Double Je

Elle aimerait… Se dédoubler. Ne plus se partager, s’écarteler, se déchirer. Être tout à fait deux. Double “Je” à part entière, chacun intègre, chacun vivant à cent pour cent. Chacun exactement à la bonne place, au bon moment.

Elle oublierait… La culpabilité. L’impression constante d’être déloyale. Tantôt à l’un, tantôt à l’autre. Souvent aux deux. Et puis à elle aussi. Qui blesse son monde à coups de pavés de bonnes intentions. Qui garde en tête les limites infranchissables, imprimées en filigrane sur ses rétines. Qui a trop peur de piétiner sur son passage ceux qui ne peuvent lui refuser grand chose. Qui a parfois du mal à profiter, toute attendue qu’elle est, d’un côté comme de l’autre. Mais on n’a pas le droit de gaspiller son bonheur. Et du bonheur, elle en a à revendre. Alors que d’autres meurent de tristesse, de solitude, d’ennui. Oui mais voilà… Chaque bribe de joie a un goût d’instants volés, chaque sourire la réchauffe et la glace de l’intérieur, chaque jour qui passe se joue la stéréo, c’est le bordel dans son cerveau. Est-ce qu’un cœur peut éclater de trop d’amour ?

Elle revivrait… La moindre ligne de son histoire. Pour rien au monde elle n’en dévierait. Tiens bon la barre et le vent, le pire reste à venir. Mais, alors que montent déjà les larmes et les détresses, une certitude s’impose. Au bout du compte, il n’y aura pas de regret. Tout ce qui a été vécu en valait le coup. Ce qui ne l’a pas été a protégé des trésors inestimables. Les autres possibles se sont barricadés derrière les “si”, remparts ardents pour doux rêveurs. Resteront les souvenirs blottis au fond du cœur, autant de briques qui déjà construisent ses avenirs.