Pas toi

Un autre que toi aurait posé des questions. Un autre que toi aurait fait les gros yeux, croisé les bras et se serait muré dans un silence accusateur. Un autre que toi, à force de soupirs ou de piques m’aurait renvoyé en pleine face mon égoïsme galopant. Un autre que toi aurait laissé la panique mécanique mener la danse paranoïaque. Un autre que toi m’aurait étouffée au passage, à force de rappels à l’ordre, de mots perdus ou d’insinuations perfides.

Toi non. Toi tu habilles la maison de fête quand je rentre, peu importe l’heure. Toi tu écoutes et t’adaptes sans jamais chercher à me changer. Toi tu acceptes patiemment mes troubles et mes absences, mes tristesses et mes vagabondages, mes sourires et mes exaltations. Ta confiance, tes tendresses, tes rires me font garder le cap mieux qu’aucune chaîne quand d’autres pistes, d’autres possibles, d’autres envies dessinent quelques virages dans mon existence.

À l’heure où les battements de cœur en massue marquent le compte à rebours enclenché, tu restes le phare qui illumine ma vie et me rappelle au bercail. Tu peux dormir tranquille, je saurai mener ma barque à travers les rapides et éviter les récifs…

Le retard de Morphée

Clic. La lumière s’éteint sur quelques mots légers exprès pour tenter de détendre l’atmosphère.

Une heure plus tard, le cœur cogne toujours. Des flashs givrés de pluie d’hiver s’agitent au fond des yeux. L’écho de paroles fortes, vaines, insidieuses, futiles, coups de poing ou baumes empoisonnés bourdonne encore aux oreilles. Qui captent le moindre crissement de draps, les apnées et les soupirs. Le corps s’accroche au lit comme un naufragé à sa planche ; il ne remue plus d’un pouce pour garder un semblant de contrôle. Les envies se télescopent, les rêves s’éveillent mais la tête tient bon. L’édifice reste en place et le corps est ficelé, emmitouflé au fond de son abri de couette.

Au bout d’une heure de noir, la respiration en contrebas se fait plus régulière. Les yeux sont grand ouverts, le cœur palpitant peine à se calmer. Quand enfin montent les ronflements, les épaules s’autorisent une once de relâchement, la tête sort se rafraîchir, les pensées oscillent entre cohérence et fantasmes engourdissants.

Un battement après l’autre, la résonance s’apaise. Les minutes qui bouillonnaient dans le flot d’adrénaline s’étirent en caramel et finissent par s’arrêter lorsqu’enfin les chiffres rouges deviennent flous, puis clignotent, puis disparaissent totalement.

Au matin, les yeux cernés papillonnent, le corps s’étire paresseusement, les pensées en tourbillon se sont posées et réajustent cahin-caha leur sourdine. Tout va bien sous le soleil, la journée peut commencer.

Hier encore…

C’est sûr, aujourd’hui, impossible de le nier. Le centre ville s’est éloigné.

J’ai l’impression qu’hier encore il n’était qu’à vingt minutes. Qu’hier encore je pouvais y faire un saut juste comme ça, pour rien, quelques fois dans le mois.

Et puis j’ai trouvé des excuses. Regroupé les déplacements. Les vingt minutes sont devenues une heure et beaucoup d’organisation. Les mois sont devenus années.

Aujourd’hui ma petite-fille traverse la France bien plus souvent que moi le périph’.

La vie en jaune

Du haut de ton bout de ciel gris, tu ajoutes l’air de rien quelques soleils à une vie déjà étincelante. De quoi se cramer une aile ou deux pour qui n’y prendrait pas garde. Surtout ne pas toucher. Ou bien du bout des yeux. Ou bien sans faire exprès. Et puis pas trop longtemps. Surtout sans en parler. Vous pouvez circuler, tout est normal par ici. On n’a qu’à faire comme si le naturel chassait le danger. Et le charme reste intact.

Flèche après flèche, les mots se croisent jusqu’à devenir superflus. Une certaine couleur demeure dans l’air, ambiance ocre et chaleureuse des endroits où l’on se sent bien. Comme une fée Clochette qui aurait oublié de s’en garder une part, sans trop t’en rendre compte tu saupoudres de poussière d’or le quotidien, les petites peurs et les grandes effervescences.

Le sourire en bandoulière sitôt que tu traînes dans les parages, les minutes s’enfuient, les heures s’envolent et les zygomatiques se courbaturent. Le fond des yeux se pare de quoi adoucir l’éclat d’une vie par ailleurs bien riche en émotions. Mais la fin déjà approche. Le sourire alors se crispe en essayant tant bien que mal de figer le temps.

Si on évite assez fort de regarder le calendrier, peut être aura-t-il la politesse élémentaire de nous oublier ?

Le temps des pépins

Il n’est pas encore l’heure de se résigner. Je n’ai pas l’âge, pas le temps pour ça. Très peu pour moi d’arriver à la retraite aux côtés de la mauvaise personne. Très peu pour moi l’absence de rêves, les perspectives évaporées, les projets rapetissés. Ça ne peut durer qu’un temps, la vie étriquée qui serre aux manches et gratte le cou. Quand ils se réveillent au bout de trente ans dans une vie glauque et médiocre, se rendent-ils compte que c’est à coup de « pas si pire » ou « pas le bon moment » qu’ils ont enterré leur vie rêvée pour sombrer dans un cauchemar aux allures de confort-sécurité-rentes à payer ?

Je ne foncerai pas non plus droit dans le mur de l’acharnement, certaines réalités finissent bien par s’imposer. Mais quand c’est bouché dans un sens, à nous de réinventer nos futurs au lieu d’accepter l’engourdissement, la gangrène, les amputations des moyens, des envies, de l’âme.

Hé, L’Oiseau ! Ils sont bien jolis tes mots, mais ça ne fait pas avancer ta rédaction, tes projets, tes moyens, justement…