Nostalgie

Bon anniversaire Grande Sœur Terrienne

Cadeau !

Alors c’est ça, vieillir ? Pleurer comme une madeleine en entendant par hasard une chanson qu’on avait enfouie sous une centaine de couches de vie. Petite chanson oubliée d’un temps qui n’était même pas plus heureux que la suite, loin de là. Temps qu’on avait fui avec entrain, pour découvrir avec délice ce que le monde avait à nous offrir. Et pourtant, une mélodie et quelques paroles font monter irrésistiblement les larmes tandis que la gorge se serre. Lentement mais sûrement, le raz de marée submerge tout sur son passage et fait place nette aux sourires attendris.

Formidable capacité qu’a l’être humain de ne garder que le meilleur de ses expériences. Chamailleries d’enfants, solidarités opportunistes et changeantes, émotion autour d’un professeur exceptionnel qui s’en va, gâteaux du dimanche après midi, temps passé à ne rien faire sous le regard exaspéré des parents, jeux qui ne paraissent innocents qu’à nos yeux d’adultes amnésiques. Interminables voyages pour ne vouloir aller qu’à la piscine du camping, batailles à coups d’ongles et de cheveux tirés, vélos-chevaux qui nous amenaient partout à une vitesse folle, garages explorés lumière éteinte pour plus de frissons, cabanes défendues contre les gamins de l’immeuble d’à côté, petits coins en bordure de la route du retour qu’on croyait plus sûrs et secrets que tout le reste du monde.

Toute une enfance qui nous revient en pleine gueule sur trois accords, enfance qu’on a quittée sans retour possible, sans réparation, sans deuxième chance, sans amélioration. Juste des souvenirs à trier, à relier avec des bouts de présent, à raconter à nos futurs si le cœur nous en dit. Une enfance épurée de tout ce qui l’a rendue détestable, ça donnerait presque envie d’y retourner pour voir. Alors on pleure parce qu’on ne peut pas. Au mieux on pourra fabriquer quelques souvenirs sympathiques à d’autres enfants, qui les regretteront aussi une fois adultes si on a bien œuvré.

Délit d’initiée

Il est seize heures ce dimanche, le campus sera désert. Mon sac est prêt, je me mets en marche. Je sais exactement ce que je dois faire, je ne perdrai pas une minute. Arrivée devant les grilles, le portail est verrouillé. Je m’en doutais. Pas de problème, je connais un passage où la barrière est un peu moins haute. Personne pour me voir, j’escalade, enjambe et saute pour me réceptionner derrière un arbuste. C’est bon, je suis à l’intérieur. Je dois maintenant longer la barrière jusqu’à sortir du petit bosquet.

Une fois que j’ai rejoint l’allée, je me dirige rapidement vers le bâtiment que je cherche. J’ai suivi toutes mes études supérieures sur ce campus. En cinq ans, j’ai découvert tous les raccourcis, les passages entre les bâtiments qui communiquent ; je sais que les portes sont récalcitrantes et j’ai appris lesquelles je dois pousser ou bien tirer, lesquelles sont bloquées et n’ont jamais été réparées. Je pourrais arriver à destination les yeux fermés.

Devant le bâtiment, j’hésite. Généralement, les portes sont fermées le week-end. En revanche, en passant par le côté, il arrive parfois qu’une porte reste ouverte. Le verrou magnétique est défectueux et personne ne l’a encore signalé. Je tente, ça marche, j’entre.

Le bâtiment est vide. Mes pas résonnent, les portes grincent, j’ai l’impression qu’on m’entend à cinq cent mètres. Passées les premières portes coupe-feu, je vois de la lumière dans une partie de couloir. Je ralentis, fais moins de bruit et me rapproche pour vérifier s’il y a quelqu’un. Autant savoir de suite si je suis seule ou non pour mener à bien ma mission du jour. Pas un bruit, tous les bureaux sont fermés, personne. Quelqu’un a sans doute oublié d’éteindre en partant vendredi.

Arrivée dans le couloir qui m’intéresse, je cherche à tâtons les clés dans un placard. Elles y sont. Je regarde le trousseau dans la pénombre, sélectionne la clé à étiquette verte. Elle ne rentre pas dans la serrure. Instant de panique. Depuis la dernière fois que je suis venue, le code couleur aurait changé? J’essaie alors les autres clés, espérant ne pas rester bloquée là. Troisième tentative, la clé bleue entre et tourne normalement. Ouf. Je repose alors les clés dans le placard, entre dans le bureau, referme la porte derrière moi et allume l’ordinateur. Je tape sans hésiter le code me permettant d’accéder aux données. Tout se déroule comme prévu. Je sors un disque dur de mon sac, le branche sur le PC et lance le transfert de données. Temps d’attente estimé à une heure et demie. Parfait, pile le temps d’exécuter les quelques manipulations qui m’intéressent. Je ressors du bureau, referme précautionneusement la porte à clé derrière moi et me rends dans l’autre aile du bâtiment.

Sur le trajet, je songe aux circonstances qui m’ont amenée ici. Étudiante, j’ai passé cinq ans de galère sans argent. Des petits boulots, de grosses économies m’ont permis de financer mes études et m’ont beaucoup marquée. Mais aujourd’hui, je ne suis pas là pour ça. Je gagne ma vie à présent. Et j’opère pour mon compte, pour faire avancer mes propres expériences.

Une fois dans le laboratoire, j’ai un doute sur l’emplacement des produits que je cherche. J’ouvre quelques placards, fouille en essayant de ne rien déranger. Et je trouve enfin. Choléra-toxine. Facteurs de croissance. Un flacon d’insuline. Un peu plus loin, j’avise la bouteille d’éthanol absolu. C’est ce qu’il me faut pour diluer ces réactifs. J’entre dans une salle sécurisée. Personne n’y vient le week-end, je serai tranquille. J’enfile une blouse, des gants, des sur-chaussures avant d’entrer. Pas besoin d’allumer la lumière, il fait encore jour et la fenêtre donne plein sud. Brièvement, une pensée m’interpelle. S’il m’arrive quelque chose, personne ne le saura avant une bonne vingtaine d’heures. Je hausse les épaules. Le risque est minime. Après tout, je sais ce que je fais, mes gestes sont sûrs.

Je prépare donc les solutions dont j’ai besoin, rapidement mais sans précipitation, cela ne sert à rien. Je me surprends même à fredonner. Je me sens bien. Je me rappelle les heures passées à me balader, à arpenter de long en large et à toute heure le parc universitaire. Des salles infos aux toits des bâtiments, des sapins à la mare aux canards, je connais chaque mètre carré de ma fac. Sitôt les cours finis, les jeux de cartes ou le ballon de foot jaillissaient pour retarder coûte que coûte le moment de rejoindre nos petites chambres et de travailler. Si je termine vite ce que j’ai à faire ici, je pourrai peut être retourner y faire un tour, boire un café à la cafèt’ en souvenir du bon vieux temps. Et regarder les jeunes jouer au baby-foot. Ah non, le dimanche, ce sera fermé. Les week-ends déserts dans cette ville étudiante me reviennent en plein face. Les écureuils et les lapins pour seuls compagnons. Les films avalés avec une certaine impatience en attendant que le dimanche soir repeuple la cité U. Et que ça reparte pour une nouvelle semaine de cours et de soirées.

Perdue dans mes pensées je ne vois pas le temps passer. Voilà que déjà, deux heures ont filé. J’ai terminé toutes mes affaires. Je range chaque flacon à sa place exacte avant de rejoindre le bureau. Le transfert de données vers le disque dur est lui aussi achevé. Je n’ai plus qu’à tout remettre en ordre et à quitter les lieux.

Un bruit attire mon attention. Grincement de porte, pas dans le couloir. Mince, j’ai oublié de refermer le bureau. Les pas se rapprochent, je me tourne vers la porte et prépare mon sourire, le cœur battant. Le vigile me demande s’il y a un problème et ce que je fais là, comme je pouvais m’y attendre. Ma réponse est prête. La vérité devrait faire l’affaire.

“J’avais deux, trois trucs à finir avant demain, je suis passée faire une sauvegarde de mon travail de thèse et un traitement de mes cellules en culture, mais j’allais justement partir.”

Le vigile hoche la tête. Je ne suis pas la première thésarde qu’il voit comme ça venir travailler le week-end.

“- Votre directeur de thèse est au courant que vous êtes là?

– Oui, oui, je lui ai dit vendredi que je passerais dans la journée.”

Il sait bien que je ne serai pas la dernière non plus, mais il se sent obligé de me faire un brin de morale, juste au cas où je ne sois pas déjà avertie.

“-Pour aujourd’hui, ça ira mademoiselle, mais la prochaine fois, n’oubliez pas d’appeler la sécurité pour prévenir de vos heures d’arrivée et de départ. En cas d’accident, vous aurez plus de chances d’être secourue.”

Sourires, bonsoirs, je rentre chez moi, le cœur léger. Pas à pas, mon travail de recherche avance et tout est prêt pour mes expériences de demain.

Badaboum !

Au cours d’accrogym, la loutre, le canard, le kiwi, la girafe et le castor devaient monter une pyramide tous ensemble. Avec la girafe comme base, ils étaient sûrs de réussir à monter bien haut, mais quelques problèmes se posaient quant à la largeur de leur édifice. Cela n’avait pas grande importance selon leur professeur libellule, mais ils avaient une certaine fierté et réaliser la plus belle et la plus stable des constructions en faisait partie.

Sans trop de réflexion, ils savaient pour sûr que la girafe soutiendrait la pyramide et que le kiwi s’y percherait, telle une cerise noire sur la pièce montée. Restaient le canard, la loutre et le castor à caser. Entre les deux petites cornes de la girafe, tout en haut du crâne, il devrait y avoir assez de place pour l’un des trois. Les deux autres n’auraient qu’à l’escalader, à s’accrocher par les pattes aux cornes et à avoir l’air un peu plus haut que lui et ça serait parfait.

Il fut donc décidé, pour un souci de symétrie, que le canard se nicherait sur le crâne de la girafe et que la loutre et le castor se positionneraient sur les côtés, an prenant soin de donner de la hauteur au tout, pour que le kiwi campe fièrement au sommet, le bec pointant vers le ciel en une pyramide gigantesque. Ainsi fut dit, ainsi fut fait et une demie heure plus tard le kiwi escaladait laborieusement le cou de la girafe. Arrivé à la cinquième cervicale, il eut l’idée saugrenue de regarder au sol, pour fanfaronner devant leur professeur qui passait par là.

Pris de vertige, il planta son bec dans le premier appui venu, le cou de son amie girafe. Celle-ci, surprise, fut prise d’une envie furieuse d’éternuer. Ce qu’elle finit par faire, envoyant tourbillonner en l’air loutre, canard et castor. La loutre et le castor prirent chacun une patte du canard dans leur gueule, ce qui empêcha celui-ci de prendre son envol.

Sous les yeux de tous qui s’étaient à présent arrêtés pour observer le spectacle, les trois animaux formèrent une seule boule mêlant poils et plumes qui finit par s’écraser au sol. Tandis que tous retenaient leur souffle, se demandant si l’un des trois au moins avait pu survivre à pareil choc, un étrange assemblage se releva cahin-caha et quitta les lieux, sous les rires incontrôlés des badauds, sans demander son reste. Ainsi naquit l’ornithorynque.

Migration

Envie de grands espaces, envie de renouveau, envie d’un petit coin un poil plus personnel. Prendre la route avec un bagage, quelques centaines de textes déjà écrits à transporter, un par un, vers leur nouvelle demeure. En laisser quelques uns sur le carreau, au bout du compte ils ne valent peut être pas une minute de copier/coller et mise en page. Pas si terribles que ça après tout.

Voilà d’où je pars, prête à conquérir mon nouveau territoire. Je garde la formule (je rédige des textes sur demande dès qu’on me fournit un thème), je m’octroie des libertés. Envie de tester, de bidouiller, de prendre mes aises. En espérant que l’inspiration me suive… Et vous aussi, lecteurs (plus ou moins) assidus, de passage ou de la première heure, si par le plus grand des hasards les lieux vous plaisaient.

Rien de définitif encore, je m’installe petit à petit, il est probable que j’aménage le site au fur et à mesure, jusqu’à enfin me trouver bien dans mon nouveau chez-moi…

Changement de nom également, de l’impersonnel Haku, je deviens l’oiseau-lyre, plus chargé de sens à mes yeux.

Bref, j’espère que les anciens continueront de me lire, que de nouveaux lecteurs s’égareront par là et qu’on écrira ensemble de belles histoires…

Qui saura ?

Tire. Mais tire, bordel ! Finis les états d’âme, t’as pas compris? C’est eux ou nous. Eux ou nous, tu comprends ça? Pour ma part, j’ai pas envie d’y passer maintenant. Je sais bien qu’à proprement parler, ils ne nous ont rien fait. “Si ce ne sont eux, ce sont donc leurs frères”. Et ne me dis pas qu’ils sont fils uniques, je connais mes classiques ! Il ne s’agit pas de ce qu’ils ont fait, non. De ce qu’ils nous feront si tu ne les tues pas. Tu captes, ça?

Mais que font-ils en face? On dirait qu’ils hésitent. Qu’est-ce qu’on fait, les gars? Je sais que les ordres sont de tirer. Mais ils tirent plus en face. Ça me gène un peu de tirer sur des mecs qui se défendent pas, sans même parler de nous attaquer. Bien sûr que je veux pas attendre qu’ils nous canardent. Mais là, c’est un peu rude, non? Qui le saura, qui le saura?! Moi, bien sûr. Je saurai que j’ai tiré sur des mecs qui tiraient plus, là ! Et vous aurez beau dire, je sais que ça vous hantera tout pareil que moi. Et alors? Et alors?! Les ordres, oui, je sais ! Et vous, vous en faites quoi des ordres en ce moment? Vous tirez pas non plus, que je sache…

Bon, t’as fini tes conneries maintenant? T’as eu de la chance qu’ils se soient pas enflammés direct de l’autre côté. T’as la chance de m’entendre encore te hurler dessus ! Si tu tires pas dans deux secondes, c’est le conseil de discipline. Et eux te rateront pas, crois moi.

Toujours rien. Me paraissent bizarres mais après tout, sont peut être lassés de tirer sur tout ce qui bouge. P’t’êt’ qu’ils réfléchissent aussi. P’t’êt’ qu’ils en ont marre de suivre les ordres sans se poser de question. Bon, vous faites ce que vous voulez les gars. Moi, ok, je reste en alerte, ok, je les ai à l’œil dans le viseur, mais je vais pas buter de sang froid des mecs comme nous qui tirent pas. Et si y a personne pour remonter l’info, qui le saura en haut combien on a croisé de mecs, combien on en a tué et combien on en a laissé partir parce que c’est pas des putains de lapins ! Quelqu’un y voit à redire? Ok, on attend la suite des évènements et on se la ferme. Ça va à tout le monde?

C’est pas possible, on est pas aidés avec des gens comme toi… Et eux, là, ils font quoi? Tu comptes attendre qu’ils aient fini leur café pour te réveiller plein de trous? Ça suffit, file moi ton arme. Sans faire d’histoire, je voudrais pas rentrer seul ce soir. Parfaitement, tu as bien entendu. Ça au moins ça monte jusqu’au cerveau. Tu vois le tableau, maintenant. On n’est que deux. Tu meurs au combat, je suis le seul témoin. Eh ben, tu piges quand tu veux. Et tu me files gentiment ton fusil. Voilà.

Bon, ben ça, c’est fait. T’as vu, avec vos hésitations à la con? Z’étaient pas super réactifs à force de tortiller autant du cul. Si c’est eux qui avaient ouvert le feu plutôt que moi, on serait plus là pour en parler. Tu me refais plus jamais ce coup-là et tu t’en sortiras peut être. Je vais mettre ça sur le compte d’une quelconque naïveté liée à l’âge et on oublie. Mais réfléchis encore une fois avant d’exécuter un ordre et tu seras aussi raide qu’eux, parce que moi, je te le dis tout net, je réfléchirai pas.