Les mots des autres

Pansement pour l’âme ou intrusion grossière, les mots creusent leur chemin, arrivent tant bien que mal au système limbique, s’incrustent dans la mémoire. Au final, qu’il soient vrais ou qu’ils soient faux, ils feront des vagues, bousculeront quelques idées, s’installeront et ressurgiront un jour sans crier gare.

Qu’un autre s’essaie à plaquer ses visions sur nous et une émotion surgit. Apaisement. Sensation d’être enfin compris. Révolte. De quel droit se permet-il? Partage. Nouveau regard. Connivence, complicité. Douleur. Reconnaissance.

L’indifférence est chassée. Elle a beau faire sa maline et tenter de garder une contenance, elle sait qu’elle a perdu. Sous l’étiquette stoïque, tourbillonnent d’autres mots, réponses muettes hurlées au cœur. Tels des anticorps largués sur un corps étranger, ils renforcent les défenses, assourdissent les sons chargés de sens le temps de pouvoir les traiter.

Quand la musique s’arrête, tourne la cassette

Un pas de danse pour exploser de joie, laisser le corps vibrer au rythme d’enivrantes sensations, exprimer au mieux le plaisir. D’être vivant, de se mouvoir, de partager, d’aimer.

Un pas de danse pour oublier la tristesse, expurger la colère, apaiser les tensions, reprendre du poil de la bête. Défier les circonstances. Choisir la vie, l’énergie, le bien être, l’intensité.

Puis la musique s’arrête. Il est temps de rentrer, de raccrocher la carapace de sourires au vestiaire ; les carrosses redeviennent citrouilles. Les vieux compagnons réapparaissent toujours. Le vide et son fidèle acolyte, l’insidieux sentiment de n’être rien, inutile, encombrant et déplacé, pointent encore une fois le bout de leurs nez. Rappellent que malgré tout, il seront là, quelque part, derrière nous. N’attendant qu’un temps de silence un peu plus épais que les autres, une seconde d’inattention dans les efforts constants pour les semer, pour, finalement, faire valoir leurs droits.

Merry Christmas

Sur ma table de chevet ce matin, deux papillotes attendaient sagement que j’ouvre les yeux. Une pointe d’émoi fait jour en moi. Suivie par le doute, la culpabilité. Je n’ai rien entendu cette nuit. On aurait aussi bien pu me trancher la gorge, je ne me serais pas réveillé.

Ce geste généreux d’un passant qui a tenu pour je ne sais quelle raison à me faire profiter de Noël me rappelle brusquement à quel point je suis seul et vulnérable. Le froid de l’hiver revient en force. Mon cœur est lourd et soucieux tandis que j’imagine le sien allégé par son don désintéressé. Il pourra dormir serein, même s’il m’a oublié, tandis que je guetterai les bruits de la nuit, à séparer entre “potentiellement dangereux” et “à ignorer pour glaner quelques minutes de sommeil”.

Malgré tout remonte à la surface une douce chaleur que j’avais crue profondément enfouie. Merci pour les chocolats.

Taxi-limaces

Le voilà, il arrive. Une ombre poilue qui court ventre à terre, faisant malgré ses efforts trembler le sol. Voilà les bêtes prévenues. Tous aux abris. Ou bien, pour les plus courageux, voici le temps de se laisser emporter par le roux tourbillon. Le corps recouvert de mucus agrippe parfaitement la tignasse du fauve. Pour peu qu’il joue et se roule, les mollusques sont bien ficelés, parés pour le voyage. Aucun ne sait exactement où il pourra à nouveau poser le pied au sol, mais d’après ceux qui en sont revenus, le voyage vaut le détour. Une folle cavalcade, un tour de manège inoubliable pour arriver dans un endroit chaud. Et revenir aussi sec s’accrocher aux brins d’herbe, pour descendre, étourdi, retrouver les siens au milieu de la pelouse.

Décompte

Dix.

Le compte à rebours commence. Inconsciemment, chacun réajuste sa tenue, essaie de se rendre le plus présentable possible, aussi futile cela soit-il.

Neuf.

Les regards se cherchent, les corps se déplacent, pour être au plus près des êtres aimés quand le zéro arrivera.

Huit.

Surtout ne pas être seul à cet instant. Surtout pas, non.

Sept.

Les cœurs se réchauffent enfin, bien entourés qu’ils sont.

Six.

Sensation grisante de partager, pour la dernière fois sûrement, la même chose au même moment, en chaque point de la Terre.

Cinq.

Ultime réconfort après ces dernières semaines de panique, de pillages, de violence.

Quatre.

Au bout du compte, tout s’apaise.

Trois.

Une dernière pointe d’inquiétude, d’espoir peut être, alors que les regards frénétiquement papillonnent et se croisent. Les mains agrippent, se serrent jusqu’à s’en exploser les phalanges.

Deux.

L’atmosphère se charge de tous ces je vous aime de dernière minute. Fraternité expresse qui enfin englobe tout le monde. Aujourd’hui, il n’y aura pas de laissé pour compte.

Un.

Alors, ça y est. Nous y  voilà. Tous ensemble.

Zéro.