Patience

Premier jour. Elle encaisse sans vraiment réaliser. Comprend les mots avec ses tripes, n’arrive pas à en dégager du sens. À partir d’une semaine, les mots font leur chemin, minant quelques bases, creusant de profonds sillons sur leur passage. Comme une crue inattendue, ils balaient les certitudes, charrient les doutes et annoncent l’heure des remises en question. Puis, progressivement, les choses s’apaisent, se réorganisent. L’être humain n’est pas fait pour être en tension permanente.

Jour après jour, semaine après semaine, elle a recouvert les mots, les a cachés dans un coin de son esprit. Elle sait qu’ils sont là, elle a conscience que les choses ont changé. Mais ne peut tout simplement pas se les répéter inlassablement. Tant bien que mal, elle patiente. Cherche quelques signes, sans s’attarder, sans sur-interpréter. Elle guette quand même, c’est plus fort qu’elle. Des bouts d’espoir apparaissent, presque malgré elle.

Mais parfois, au détour d’un sentier, quand l’attention se relâche quelque peu, brusquement les mots ressurgissent, sortent de leur cachette et reviennent la titiller. Ils rameutent en force tous les si qui passent dans les environs. Si, au lieu de s’éloigner sur la pointe des pieds, les mots creusaient leur nid et souhaitaient s’installer ? Si chaque jour passé pouvait les rendre plus forts, plus présents, plus consistants ? Et si les réveils câlins, les rires, la vie en commun, la confiance inébranlable perdaient leur sens ? Si un jour, ça ne suffisait plus ?

Pour ne plus paniquer, elle attend, patiemment, que d’autres mots, tous doux, passionnés, murmurés mais sincères, se glissent dans son ciel et viennent chasser ses nuages.

Automne

Le moral se recroqueville comme une feuille dorée attendant d’être emportée par le vent. La confiance, l’estime de soi chutent brusquement, comme le mercure impitoyable. La joie hiberne, s’emmitoufle sous la couette, terrier moderne, pour passer l’hiver sans trop de dommages. Le corps, dans un ancestral instinct, réclame sans cesse de quoi s’emplir, pour faire fi du vide grandissant au creux du ventre et du cœur. La mélancolie s’immisce telle la bruine tenace qui s’incruste sous les manteaux, gelant et mouillant chaque être à portée. Enfin soufflent à nouveau les vents irrésistibles qui balaient les envies, les semblants, les attaches précaires, qui font place nette et ramènent en fanfare la solitude en certitude.

Rappel à l’ordre

C’était prévu. Le travail par dessus les épaules, avancer par coups de collier, s’immerger et exécuter en apnée ce que le papillon ne peut que survoler. C’était prévu. Les projets lancés qui demandent concrétisation, mille quatre cent quarante minutes qui ne se dédoublent pas, la course effrénée pour arriver en tête de liste de mes priorités. C’était prévu. Les engagements impérieux qui ne savent attendre, la focale qui s’étrécit pour mieux atteindre l’objectif, l’inévitable tri parmi les plans en pagaille. C’était prévu.

Ce qui ne l’était pas, c’était le temps. Le temps que je mettrais à admettre que je ne suis pas surhumaine. Que je ne peux pas tout faire et bien le faire. Que parfois la vie est une question de priorités. Et qu’un passe-temps, une évasion, ne saurait prendre le pas sur des réalités en détresse, demandant de plus en plus furieusement leur part d’attention.

Temps écoulé. Les mots prennent place dans la file d’attente pour revenir plus tard sur le devant de la vaste scène qu’est mon imagination. Certains tenteront une percée. S’ils sont aimables, discrets, pas trop envahissants, alors ils auront carte blanche pour un tour de piste. Et s’en repartiront se ranger pour ménager aux nouveaux poulains une petite chance de voir le jour au milieu de la jungle environnante.

Merci facteur !

Au courrier, ce matin, une carte de toi. Après une semaine à scruter la boîte, à attendre le facteur, mon impatience est enfin récompensée. L’enveloppe un peu plus rigide que la normale me rassure. Sacro-saint rituel, je ne l’ouvre pas de suite. J’attends d’être à l’abri de ma chambre pour décacheter l’enveloppe, examiner la carte et me plonger dans sa délicieuse lecture. Je me réjouis de l’image que tu as pu choisir pour moi. J’apprécie chaque mot posé, bribes du quotidien, complices bavardages cryptés, uniquement à moi adressés. Ces mots écrits valent mille chuchotements dans un quelconque combiné. Nulle oreille indiscrète pour nous déranger. Cent cartes à lire et relire pour me rappeler que toujours tu penses à moi. J’en tapisse les murs de ma chambre pour m’entourer de toi. De toi qui manques à ma vie. De toi qui coûte que coûte m’accroches, bouée salvatrice dans ma brève existence déjà bien compliquée. De toi qui seras à tout jamais une part de mon cœur, de mon être, et pas des moindres.

L’Histoire est une passion qui prend pas mal de temps

Remonte le temps, remonte. Un jour, un an, un siècle. Vertigineux. Méticuleux. Égrène à rebours les pages tandis que l’horloge avance. Pause dans une vie pour conter celles d’autrui. Puzzle à assembler, recoller les fragments. Et sur une vie passer dix ans. Tenter d’appréhender l’essence d’un homme, le contexte d’une action, les alliances et trahisons. Synthèse, transmission, legs aux générations futures. Passeurs de flambeau, muets témoins d’époques passées, garants de la mémoire qui ne participent pas au fou tourbillon qui un jour, peut être, sera consigné, archivé, étudié.