En silence

Pas un mot d’échangé, à peine les bonjour, merci et au-revoir de mise. Le résultat est pourtant là. Pas un faux pas, harmonie et compréhension totale. Les corps parlent d’eux-mêmes, s’ajustent en un clin d’œil pour laisser place au plaisir à l’état pur. Plaisir égoïste et partagé, intense et éphémère, sublimé par cette connivence infra-verbale. Plaisir qui s’affiche insolemment en exquis sourires offerts au monde entier qui, il faut bien l’avouer, s’en moque éperdument.

À grande vitesse

Elle regarde distraitement par la fenêtre le soleil qui se lève, les paysages qui défilent, pensant à ce qu’elle laisse derrière elle. Ça ne lui ressemble pas vraiment, les yeux tournés vers le passé ou vers un hypothétique futur. Et pourtant, perdue dans ses pensées, elle songe à ce qu’elle pourrait ne pas retrouver à son retour. Quatre jours, tellement courts. Une éternité, cent fois le temps de tout perdre. Il suffit d’un coup de coude malencontreux pour faire tomber la coupe de cristal. La scène au ralenti, les sens affûtés, les réflexes heureux peuvent retarder la chute, limiter la casse voire sauver in extremis le précieux calice. Mais ils ne peuvent figer le temps, laisser en suspens l’objet inexorablement piégé dans le champ gravitationnel terrestre.

Quatre jours au summum de l’impuissance. Inutile, dans l’expectative, une boule au ventre, une autre dans la gorge et l’eau qui menace de déborder à tout moment, elle ne serait pourtant restée pour rien au monde. Trop consciente que ça ne servirait à rien. Trop respectueuse d’elle-même pour ne pas profiter, essayer de combattre ses terreurs et ses prémonitions, les éloigner coûte que coûte. Elle les retrouvera bien assez tôt. Les accueillera à ce moment-là. Parce qu’il faudra bien les vivre. Pleinement, comme le reste. En attendant, elle se concentre sur le petit bout qui l’attend depuis un mois à huit cent kilomètres de là. Qui a besoin de tout son amour et lui prendra toute son énergie.

La courte paille

Alors, ainsi, ce sera moi. Demain, dans une semaine ou dans deux mois, quelques lignes dans le journal pour évoquer brièvement ma vie, le bien que j’ai pu faire, mes dernières minutes de vie. La tristesse et la colère de mes proches, de mes collègues. Ce n’est pas si horrible à vivre en fait. Je n’ai presque eu le temps de me rendre compte de rien. Juste cette conscience aiguë d’être le prochain fait divers pendant que mon esprit déjà essaie de fuir la scène de crime. J’ai toujours eu horreur du sang. Le fait qu’il s’échappe de plaies abdominales de mon propre corps n’est pas pour me le rendre plus attrayant. Autant partir, là, simplement, que d’essayer de lier toutes ces sensations disparates. Les yeux fermés la douleur n’est pas si forte. Les yeux ouverts, je suis pris de spasmes en visualisant l’horreur, le sordide et l’absurde de ma situation. La prochaine fois, je penserai à baisser la tête devant ce genre de personnes. La prochaine fois… Mais, au fait, le chat n’a pas mangé ce matin. J’espère qu’on retrouvera vite mon corps et qu’on pensera à s’occuper rapidement de lui.

Éloge de la fessée

Sèche, la main claque sur la peau nue. Pas vraiment de douleur, à peine un pincement. Le bruit, lui, est impressionnant. Il sonne comme une tasse de porcelaine s’écrasant sur le sol. Il provoque à lui seul un sursaut, un frisson le long de l’échine. Le courant d’air de la main qui se relève et prend son élan procure quelques secondes d’anticipation troublée avant le claquement suivant. À nouveau, les paupières se plissent au moment du choc, la tête se baisse, la nuque s’enroule, tentant d’esquiver le coup à venir. Mais le corps l’accueille lorsqu’enfin il tombe, mettant brutalement fin à l’attente anxieuse. Encore une fois, plus de peur que de mal. Déjà, le rouge rosit puis blanchit. La seule marque qui ne s’estompera finalement pas est l’égo égratigné, la fierté ravalée qui rejaillira dans un magnifique flamboiement d’yeux défiant le monde entier.

La panne

Elle est partie un beau matin, me laissant seule face au vide vertigineux de mes pensées. J’attendais sagement qu’elle revienne, mais depuis deux jours, je m’impatiente. Et si elle t’avait suivi? Si elle t’attendait pour revenir d’elle-même? Non, ce n’est pas plausible. Je pense qu’elle se cache, pauvre petite chose, attendant que je la cherche activement pour donner signe de vie. Elle ne veut m’être d’aucun secours, me laisse me dépêtrer de mes phrases en trop, mes pensées incohérentes, mes sentiments en pagaille. Ça ne la regarde pas, après tout. Peut être que quand je serai disposée à me laisser guider hors de moi à nouveau, elle reviendra. Me fera voyager, vibrer, rencontrer tout un tas de personnages. Créera avec moi d’autres mondes. M’aidera à dérouler le fil pour une poignée d’irréductibles, fidèles au poste. Alors je donnerai toute ma verve, étalerai ma prose, glisserai avec plaisir les doigts sur le clavier, presserai mes méninges pour en tirer le jus, et livrerai le nectar de mes divagations.