Une journée bien remplie

Je me suis levée à l’aube ce matin. J’ai commencé la journée en regardant le temps passer. Un petit déjeuner, la vaisselle puis le ménage m’occupent jusqu’au milieu de la matinée. Je descends chercher le pain sur le coup des onze heures et en profite pour relever le courrier. C’est important d’optimiser les déplacements. En revenant, je commence à cuisiner, même si je sais bien que je n’aurai pas faim. Je passe à table à midi et demie et tandis que je termine mon café, j’entends qu’on sonne à la porte. C’est la voisine du dessus qui m’invite à regarder son album photo. J’accepte avec enthousiasme. En rentrant, en milieu d’après midi, je vais chercher ma voisine de palier pour un thé. Nous restons ensemble jusqu’à dix huit heures. Au moment où ma voisine me quitte, le téléphone sonne. Je parle une bonne demi-heure avec mon interlocutrice. Elle raccroche, je prépare alors le repas du soir. Plus que quelques heures à tenir avant de me coucher. Je suis contente, je n’ai presque pas vu passer la journée.

Délit de faciès

Aujourd’hui, tu n’es plus. On t’a pris pour une autre, tu lui ressemblais, certes, mais tu n’étais pas elle. Bien sûr, tu volais et ça n’a pas joué en ta faveur. Bien sûr, de loin, ils n’ont pas cherché à savoir et n’ont pris aucun risque, au cas où tu sois réellement elle. Avide de sang comme elle l’est, il faut bien avouer qu’ils ont pris peur et ne pouvaient prendre le risque de te laisser faire.

Et pourtant… Pourtant tu es la plus inoffensive petite mouche que je connaisse, voletant de-ci de-là au gré des vents, sans même faire le bruit tant irritant qui aurait pu te confondre avec elle. Mais toujours ils diront qu’ils ne savaient pas et que ce n’est pas si grave. À part moi, qui pleurera la fin d’un moucheron battu à mort avec désinvolture et suffisance?

Le chevalier des lavabos

Arrivé en retard comme toujours à la cérémonie d’intronisation, l’écuyer Tomas devint en gage d’avertissement le chevalier des lavabos. Armé d’un goupillon et de chiffons, il eut pour mission de ne jamais laisser s’engorger les éviers, lavabos, ni même les bidets. Au départ soulagé de ne pas avoir à surveiller un pont pour provoquer en duel chaque chevalier qui souhaitait le traverser, il profita un peu de sa condition reposante. Quand il était seul, il prenait des bains, taillait sa barbe, faisait des mimiques devant le miroir et se curait les ongles. Le temps passait, l’eau coulait, les toilettes se succédaient et Tomas trouvait son initiation plaisante à défaut d’être intéressante.

Puis vint la fuite. Le siphon bouché, bourré de touffes de poils et de cheveux gorgés d’eau ne remplit plus son office. L’eau, sans rien pour l’absorber, déborda de la vasque, du trop plein, pour éclabousser son armure. Il coupa l’eau et, n’ayant pas le courage de s’atteler à la tâche, s’assit à terre pour réfléchir à une manière de s’en sortir à moindre frais. C’est ainsi qu’on le trouva, incapable de faire le moindre mouvement pour se relever, mort de faim dans son armure rouillée.

Vendre son âme

Cela fait des mois que Marie se prépare. Quand elle a lu l’annonce, elle s’est dit “après tout, pourquoi pas?”. À quelques détails près, elle remplissait toutes les conditions. Et pour ce qui lui manquait, il lui suffisait d’être patiente. Ainsi, Marie décida de devenir un modèle de vertu. Heureusement pour elle, elle n’était pas encore compromise, et la liste des pêchés à effacer était relativement courte : quelques mensonges pour préserver un peu son intimité, le vol d’une pomme pour nourrir son petit frère, et c’est tout. Elle commença donc par travailler pour rembourser ladite pomme au vendeur. Pour les mensonges, elle décida de n’en plus dire, mais pensa que rectifier le tir maintenant était trop tard. Elle se dit qu’avec une période suffisamment longue de pénitence, elle compenserait.

Après quelques mois de cette vie exemplaire, elle se sentait prête. Elle pouvait citer de mémoire une bonne cinquantaine de bonnes actions accomplies pendant ce laps de temps et n’avait cédé à aucune tentation. Dans sa tête, elle imaginait quelques questions qu’on lui poserait et les réponses qu’elle ferait. C’était vraiment le bon moment.

Alors, après avoir vérifié l’adresse une dernière fois, elle rajuste le col de sa robe, prend une grande inspiration et pousse la porte de l’office. Elle se dirige vers l’accueil et se présente. On lui dit de patienter, que quelqu’un va la recevoir. Quelques minutes plus tard, un adolescent au look androgyne lui demande de l’accompagner, ce qu’elle fait. Il lui pose quelques questions sur sa vie et les motivations qui la poussent à faire ce qu’elle s’apprête à faire. Bien préparée, elle répond simplement que cet échange devrait assurer assez d’argent à sa famille pour que les siens ne manquent de rien sur plusieurs générations, et que cela valait bien son sacrifice. Devant l’air gêné de celui qu’elle identifie comme un DRH, elle ajouta rapidement qu’elle ne considérait pas cela comme un vrai sacrifice, mais comme un moyen de s’épanouir, de se sentir utile. Elle sent qu’elle s’empêtre et finit par se taire, le rouge aux joues.

L’employé la rassure en lui disant qu’elle est la seule à avoir répondu à l’offre et qu’en plus du deal annoncé, il se pourrait qu’il ait un bonus pour elle, si elle est intéressée, évidemment. Reprenant contenance, Marie cherche à savoir si son interlocuteur l’embobine ou pas. Elle lui rappelle donc les termes de l’annonce et attend confirmation. Un ange passe et dépose sur le bureau un contrat que Marie lit. Elle écarquille les yeux en lisant à combien se chiffre la vente de son âme. Elle ne pensait pas être à ce point vertueuse. Son âme va se monnayer très cher, et il n’y a pas à dire, ils ne sont pas radins là-haut. Son engagement à elle n’est pas trop prenant non plus : continuer sur sa voie pieuse et devenir une sorte d’idole. Pas si dur que ça finalement. Marie sourit en pensant à ce que ça peut impliquer. En regardant les annexes, elle comprend que le bonus n’est pas mauvais non plus : on lui fournit un enfant, qui sera lui aussi adulé, assurant la renommée de sa famille à travers les siècles, et un mari, pour garantir sa réputation. Marie cherche un crayon dans son sac et signe aussitôt.

Il était deux fois

Il était deux fois un petit garçon qui rêvait  d’un jour atteindre la lune. La première fois, il prit un bonbon magique qui le fit grandir, grandir jusqu’à passer la tête par-dessus les nuages. Il attendit la nuit et tendit la main pour cueillir l’astre de ses rêves. Il attrapa d’abord un satellite, se rendit compte de son erreur, et le remit délicatement en place. Il tendit la main plus loin, essayant de s’agrandir encore un peu. Mais aussi fort qu’il tentait, sa main n’atteignait jamais la lune. Alors le petit garçon reprit sa taille en pleurant toutes les larmes de son corps.

La deuxième fois il se propulsa à travers le ciel grâce à un canon ultra-puissant. Il était bien équipé et ne risquait pas grand chose avec son casque, sa combinaison spatiale à sa taille et ses réserves d’oxygène. Mais le petit garçon qui rêvassait parfois pendant ses leçons avait fait une petite erreur de calcul. Son canon le propulsa bien dans le ciel par-delà l’atmosphère terrestre, mais il n’atteignit jamais la lune. À l’heure qu’il est, je crois qu’il tourne encore en orbite autour de l’objet de sa convoitise. Ainsi donc, il ne sera jamais trois fois.