Qui trop embrase mal éteint

La première étincelle le touche de plein fouet. Il voudrait l’étouffer mais l’air qu’il brasse donne de l’élan, de la force à la première flammèche qui ainsi prend vie. Vexé par cette tentative ratée, le voilà qui monte sur ses grands chevaux. Son esprit s’échauffe, transmet son énergie à l’incendie qui déjà grandit, gronde, s’épanouit en une danse macabre et fascinante. Au fur et à mesure qu’il perd le contrôle, la spirale infernale s’alimente de sa rage brûlante.

Et, lorsque tout est consumé, que le feu a tout dévoré et se recroqueville enfin faute de comburant, il reste là, vidé, cherchant encore comment cela a pu prendre de telles proportions, comment il aurait pu éviter cette escalade. Mais c’est plus fort que lui, son embrasement total et fulgurant reste la meilleure preuve à ses yeux qu’il est vivant.

Indifférence ordinaire

Maintenant que tout est préparé,

Maintenant que les tâches sont listées, disséquées, aplaties,

Maintenant qu’il n’y a plus qu’à,

Vous allez fournir le petit effort qui vous mènera à la concrétisation. Vous pourrez alors fermer les yeux. Dormir sur vos lauriers. Vous congratuler. Jouer les faux modestes. Non, ne me remerciez pas, ce n’était pas tant que ça, c’est bien normal. 

Vous pourrez oublier ceux qui, pourtant visibles, pourtant bien là, ont pré-mâché le travail. Ceux qui petit pas après petit pas, ont aplani chaque difficulté. Ceux qui ont donné. Qui auraient bien attendu en retour, mais sont restés les mains vides. Abnégation forcée. Il est vrai qu’on ne voit que ce qu’on veut. Autant dire qu’on ne savait pas ce que ça représentait, ces heures ingrates de démarches diverses, ce projet porté à bout de bras alors que l’intérêt personnel n’y était pas. Tellement facile de lister tous les problèmes, tellement rébarbatif d’être toujours rappelés à l’ordre. Après tout, personne ne l’obligeait à le faire. C’était son choix. Ne nous donnons pas mauvaise conscience, nous avons rempli notre part du travail. 

Plinn

Saute, saute, trois petits pas pour compacter la terre. Tous ensemble enchaînés, nous arpentons le sol, le foulons sous nos pieds pour faire revivre la pratique ancestrale visant à tasser le sol de la maison. Donner toutes ses bonnes vibrations pour inaugurer un nouveau lieu de vie.

Les maisons ne sont plus en terre battue, bien souvent on paie pour danser avec de parfaits inconnus. La fête du village s’est considérablement élargie. Toujours la même énergie brute, la transe, le plaisir d’être tous ensemble dans le même mouvement simple, terre à terre, presque tribal, mais retenu, pas très expansif. Tape le parquet, encore et encore, pour faire du bruit, pour prouver qu’ensemble, on existe, interminable chenille qui serpente, paradant dans la salle.

Perce-val

Un éclair roux traverse en trombe le salon. Tombe la pile de CD en équilibre sur la table basse. L’éclair roux ne s’arrête pas. Le voilà qui saute sur le chat qui dormait par là. Grondements, feulements, griffes acérées, l’éclair repart illico presto. Profitant d’un battement d’environ dix secondes pendant lesquelles personne ne le regarde, il subtilise la part de brioche qui attendait sur la table l’heure du goûter. Dès qu’il sent un regard sur lui, l’éclair roux s’enfuit par la baie vitrée, tache orange zigzaguant sur l’étendue verte. Dans ce val improvisé, c’est lui le roi, la terreur de la faune. Dès que passe un enfant, un congénère ou un admirateur, le voilà qui parade avant de repartir, insaisissable. Mais lorsque, excédés par ses facéties, son espièglerie, sa manière de n’en faire qu’à sa tête nous décidons de le remettre en place une bonne fois pour toute, voilà que nous tombons sur une petite boule de poils ronronnante qui transpire la paix et son amour pour nous. Rangé le pistolet à eau que nous nous apprêtions à dégainer, nous profitons ensemble de cette seconde de calme et de fausse innocence.

La femme de personne

Elle n’est la femme de personne, n’a jamais voulu d’attaches, de possession, de foyer, de prison. Peu importent les mots. L’idée d’appartenir à quelqu’un lui fait horreur. Elle n’est pas non plus la femme de tout le monde, a une idée du respect de soi-même bien trop classique pour passer d’homme en homme et se regarder encore dans la glace. Elle essaie à l’occasion de construire quelque chose, mais dès que son cou glisse dans une corde, si mince soit-elle, elle s’envole à tire d’aile pour retrouver sa liberté, sa solitude, sa forteresse.