Ça fait un mois que tu dors, petite princesse qu’aucun prince ne viendra réveiller. Un mois que je te veille, un mois que j’essaie de te rappeler, pour que tu réintègres ton petit corps. Tu parais tellement paisible. C’est beau un enfant qui dort. Après une journée bien agitée, oui. Mais là, à trop dormir, tu me rends malade. Chaque fois que je te vois, je pense à tes yeux qui vont bientôt papillonner, s’ouvrir, tes petits poings serrés qui vont les frotter pour te protéger de la lumière. Les fils qui te relient artificiellement à la vie me sont insupportables. Et sans arrêt revient la question. Où es-tu? Est-ce que j’ai sous les yeux une enveloppe vide? Est-ce qu’au contraire ton esprit est là, à l’affût de la phrase lui donnant envie de remonter des limbes? Sésame, réveille-toi !
Métamorphose
Peu à peu, l’enfant en lui fait silence. Exit l’indignation constante devant toutes les injustices de ce monde. La résignation arrive à petits pas. Balayé l’émerveillement de chaque chose, plus rien ne lui parait original, il est devenu blasé. Cynisme et sarcasmes remplacent son sens de l’humour et de l’auto-dérision. Sa période de révolte adolescente laisse la place à un calme aigri.
Au fil des jours, petit à petit, le jeune homme plein d’idéaux s’est métamorphosé en vieux con, oublié dans son coin. Il ne tardera pas se changer à nouveau en vieil homme en souffrance, la connerie ne masquant qu’un temps le néant de l’être.
Fragile
Fragile. Froissé. Rouge sang. Cœur noir. Éphémère beauté. Vagabond posé le long des routes, tu es le témoin des balades, des voyages. Tu ne tiens pas en pot, en bouquet, ni même séché. La seule façon de profiter de ta vue, c’est d’aller à ta rencontre, sur le bord des chemins.
Quai 3 20h21
Le quai est bondé, le train n’est pas encore arrivé. Tendu, nerveux, excité, j’attends. Je fais les cent pas, attendant l’arrivée de ma douce. Comment sera-t-elle habillée? Quelle sera sa réaction en me voyant? Je n’ai envie que d’une chose : la prendre dans mes bras, oublier les semaines qui l’ont tenue éloignée de moi. Je ne pense pas encore au lundi matin qui arrivera bien assez tôt pour l’arracher encore à moi. Mais elle? Si elle avait envie de parler? Envie de se balader? Envie de voir d’autres personnes, envie de partager son temps? Si je ne lui suffisais pas, finalement? Je voudrais la garder pour moi. Rien que pour moi. Profiter de la moindre minute d’elle. Ne pas dormir. Ne pas manger. Ne pas parler. Juste la tenir, la toucher, la caresser, l’embrasser. Garder la chaleur de sa peau, la graver sur moi. M’imprégner d’elle.
Le train est annoncé, retard de dix minutes. Dix minutes volées qu’on ne me remboursera jamais. Il est déjà 20h21, elle arrive donc dans sept minutes. Elle devrait déjà être contre moi. Je trépigne, incapable de tenir plus longtemps.
Lorsqu’enfin le train arrive, le quai s’immobilise. Plus un mouvement ne capte mon attention quand je scrute la foule à la recherche de sa silhouette. Et enfin, elle est là.
Le silence des marmots
Elles ne sont pas là. Elles ne sont plus là. Les cris, les rires se sont tus. Partie la présence envahissante, accaparante de mes trois enfants. Où sont-elles? Je ne sais pas. Je cherche depuis des mois. Une trace. Une adresse. Questions aux voisins. Pied de grue devant l’appartement de ma belle-famille. Où les a-t-elle emmenées? Jour après jour, inlassablement, je cherche. Je ne renoncerai pas. Jusqu’à ma mort je chercherai. Car sans elles, à quoi bon vivre?
Elle n’aurait pu me faire plus mal. Se servir de l’innocence de mes enfants, les déraciner, les enlever, pariant sur le fait que je ne voudrai jamais leur faire autant de mal moi-même. Et me laisser toujours un doute horrible, perfide, sournois. Jusqu’où irait-elle pour me blesser? Si je les retrouvais sans qu’elle y soit préparée, que ferait-elle pour me punir? Insoutenable idée, je suis prêt à tout lâcher.
En réalité, je pourrais tout oublier maintenant. Tout ce qu’elle a déjà fait. Oublier qu’elle m’a sali. Oublier les tribunaux. Oublier les trahisons. Oublier la main forcée à nos amis communs, l’inéluctable et impossible choix. Tout. Je pourrais tout oublier. Juste pour la certitude que je les reverrai un jour. Pas pour un visage, un sourire, une excuse, non. Juste pour la certitude que je les reverrai un jour.
Jusqu’à ma mort je chercherai. Je me ruinerai s’il le faut. Je ferai tout mon possible et une bonne partie de l’impossible pour retrouver leur trace. J’arpenterai la France entière. Le monde s’il le faut. Je ne chercherai même pas à me venger, à l’écraser, à la juger. J’accepterai l’inacceptable. Pour la certitude que je les reverrai un jour. Car sans elles, à quoi bon vivre?