Je l’ai vu aujourd’hui, alors que machinalement je passais la main dans tes cheveux. Le premier de tes cheveux blancs qui me donne mon plus gros coup de vieux. Hier encore, tête juvénile posée sur mes genoux, je cherchais les poux entre tes boucles brunes. Sans que je m’en rende compte, trente ans sont passés comme un clignement de tes cils, et le blanc de ton cheveu me rappelle sournoisement l’âge des miens.
Source d’inspiration
Un mot par-ci, une expression par-là, tout d’un coup, clic, un déclic et les mots coulent d’eux mêmes. Comblé le vide de l’écran blanc, le pointeur qui clignote pour me rappeler qu’un mot attend ici d’être posé. Les caractères s’enchaînent, les idées se déversent, passent directement d’une partie lointaine de ma conscience au support qui les recueille, qui les stocke, les fige. Et puis, bam, c’est la butée, le mot récalcitrant, celui qui se cache, qui se fait désirer, qui ne veut pas travailler. À moi d’aller le chercher, de prendre mon temps pour l’amadouer, le convaincre de prendre sa place parmi les autres. Une fois que le flot coule à nouveau, je dois alors m’interroger sur la cohérence du tout. Est-ce que la vue d’ensemble est sympathique? Comme sur l’éternelle photo de classe, une fois que les éléments sont là, il faut les réorganiser pour mettre en valeur tout le monde, pour qu’on ne passe pas à côté du petit qui se cache dans l’ombre rassurante de son camarade. Et lorsqu’enfin le texte a pris sa forme, une fois qu’il est prêt à vivre sans moi, je dois l’admettre, lui donner la permission de partir, ne pas chercher à toujours l’améliorer ou le dénaturer mais oser le laisser véhiculer seul ce que je prenais pour la création de mon esprit. Trop tard. Déjà il s’envole, et comme il s’est imposé à moi, le voilà qui cherche à s’immiscer dans la tête d’autres gens, les convaincre que ses mots sont aussi les leurs, ou bien déclencher leur hostilité. Mais en aucun cas ces autres personnes ne pourront relier les mots qui les pénètrent avec ceux qui, l’espace d’un instant, sont nés dans les limbes de mes pensées. De la même manière qu’un enfant, aussi proche ou contrasté qu’il soit avec ses parents, ne sera jamais leur reflet aux yeux du monde.
Morts en rafales
Rythme insoutenable
Anneau-cible verrouillé
Feu à volonté
Abondante artillerie
Légère, maniable
Échanges consensuels
Si tu ne tues pas, tu meurs.
Le cordonnier et les lutins
Vous ne me voyez pas, mais sans moi, vous seriez bien peu de choses. Je ne suis pas professeur, ingénieur, directeur ou manager. Je n’ai pas de grandes idées mais je sais bien exécuter. J’ai ma petite routine, toujours les mêmes gestes, afin que tous les matins la place soit prête pour que votre génie s’emballe et s’élève. Je prépare tout ce qu’il vous faut. Je nettoie votre matériel. Grâce à moi, vous n’êtes jamais à court de rien. Je vous évite tous les petits tracas (pas de papier, plus d’encre, il manque un bescher, la poubelle déborde encore, et tout ce qui pourrait vous obliger à vous salir les mains). Je me lève avant vous et vérifie que vous passerez une agréable journée, tout comme votre mère préparait pour vous la table de votre petit déjeuner lorsque vous étiez marmots.
Vous ne me voyez pas et pourquoi le feriez vous? Lorsque tout fonctionne, tout est si normal pour vous. Dire merci ne vous coûterait rien, c’est vrai, mais vous n’y pensez pas. Est-ce que l’on remercie le soleil de se lever le matin pour nous éclairer? Est-ce qu’on remercie notre voiture lorsqu’elle nous transporte sans encombre d’un point à un autre? Non, bien sûr. Je ne peux pas vous en vouloir. Je suis payé pour vous être utile. Pour être fonctionnel. Et pourtant, des fois, je rêve. Un regard. Une reconnaissance. Qui me rende le labeur plus léger.
Pas ce matin
Douceur du matin quand le réveil sonne et que je peux, encore un peu, me coller contre toi pour profiter de ta chaleur. Pas ce matin. Tel un chat, je m’étire, vocalise et me love dans tes bras. Pas ce matin. La caresse rapide et le bisou du bout des lèvres pour bien commencer la journée. Pas ce matin.
Ce matin c’est le lit froid, ta place vide et moi pelotonnée en boule dans mon coin. Ce matin, après mon premier réflexe câlin, c’est le souvenir de toi t’en allant dans le soir qui me claque en pleine face. Ce matin c’est le premier d’une longue série de matins où je vais devoir réapprendre à émerger seule, à affronter ma journée et ton absence. C’est ma vie sans toi qui commence ainsi par un matin chagrin.