Massacre à l’agrafeuse

Elles sont toutes là, bien empilées, lisses et propres. Les deux cent pages de mon rapport qui ne demande plus qu’à être relié. À côté, l’objet du crime à venir. Une belle agrafeuse, de grande taille et dont le chargeur est rempli de grosses agrafes. Encore à côté, un enfant de dix ans désoeuvré et malicieux.

À peine vingt minutes plus tard, le forfait est commis. Des agrafes sont plantées de manière aléatoire sur toutes les pages, permettant l’obtention d’un bloc compact et solidaire, qui ne pourra en aucun cas être lu.

Volcan apprivoisé

Bien sûr, j’ai mûri, j’ai grandi, j’ai vieilli, je me suis assagie. Mais toujours brûle au fond de moi la rage adolescente qui s’embrase au contact de l’étincelle. Celle qui m’emporte et me passionne, qui se réveille parfois de ses cendres sans qu’on comprenne bien pourquoi. Ce bouillonnement qui fait de moi un volcan explosif ou effusif, selon les circonstances. Inutile de chercher à étouffer les flammes, l’explosion serait ma seule réponse. Tant pis pour les dégâts collatéraux.

Tu pourrais très bien, tel le petit prince de mon enfance, m’apprivoiser et tirer de moi ton énergie. Je pourrais canaliser tout ce feu pour te réchauffer doucement. Je pourrais te procurer des spectacles pyrotechniques en partant de tout ce qui se consume en moi. Libre à toi de chercher la clé. Mais en aucun cas je ne serai facile d’accès. À toi de me mériter. 

Reddition

Bon, d’accord, vous avez gagné, je me rends. J’avoue que vous vous êtes bien battus et que là, je n’avais pas d’alternative. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’ai trouvé ça beau, je n’irais pas jusqu’à dire que vous avez été loyaux. Mais vous avez gagné, c’est sûr. Je ne m’abaisserai pas à sous entendre que je vous ai un peu aidés, vous avez bien dû vous rendre compte tous seuls que parfois je flanchais et vous laissais l’avantage. Mais je ne remets pas en cause votre victoire, loin de là. Même si je ne dirais pas qu’elle était méritée. Spectaculaire, oui. Mais méritée? Soyons réalistes, vous avez quand même eu un peu de chance. Et puis c’était votre première fois, il fallait bien que vous preniez goût au jeu. Allez, entre nous, maintenant que je me suis rendu, vous pouvez me l’avouer : vous aussi vous êtes aperçus que je vous avais mené où je voulais, que j’étais maître pendant les trois quarts de notre affrontement? Vous avez profité de ma gentillesse et de ma pitié, et vous étalez maintenant votre victoire, mais vous savez bien au fond que je reste supérieur à vous et que vous avez de gros efforts avant de ne serait-ce que m’égaler. Bon, pour cette fois je ne dirais rien et je vous laisse parader, mais la prochaine fois, je vous l’assure, vous ferez moins les malins !

Et Dieu créa ma femme

Pensant qu’il manquait quelque chose à ma vie, Dieu créa un être magnifique, pur, doué d’intelligence. Il crut bon de m’unir officiellement à elle afin que je puisse assouvir certaines envies charnelles. Dieu venait de créer ma femme et dans un premier temps, je ne m’en plaignais pas. Et puis j’ai fini par comprendre. Tellement fou d’elle, je ne la quittais pas d’une semelle. Je n’osais la laisser seule de peur que d’autres ne la volent. Pour lui plaire, je devins exemplaire, arrêtais certaines manies qui jusque là ne me dérangeaient guère.

Dans son intelligence divine, Dieu venait de trouver le mouchard idéal.

Quand vient le petit matin

L’aube est sur le point de se lever. La jeune mère s’apprête à border son petit fantôme, qui a bien profité de la nuit. Il est épuisé de toutes ses facéties et ne tardera pas à s’endormir profondément jusqu’à la tombée de la nuit. Il faut bien dire que ce petit fantôme, fils unique, était saltimbanque avant de passer de l’autre côté. Et donc il continue à s’entraîner au jonglage, aux acrobaties, aux farces qu’il apprenait à faire quand il n’était qu’un petit garçon ordinaire. Sauf qu’il a maintenant des possibilités, des idées, des capacités qu’il n’avait pas alors. Il teste de nouvelles choses; il arrive presque à traverser les murs d’un coup, sans rester coincé dans la cloison. Il a peaufiné son tour de prestidigitation, il peut maintenant subtiliser les bijoux de la maîtresse de maison sans la réveiller. Il n’a aucun problème pour jongler avec le feu, et n’a plus peur de rien. Mais ce dont il est le plus fier après cette journée, c’est d’arriver à léviter tout seul, sans que sa maman ne le tienne et ne le pousse vers le haut. Bien sûr il ne s’est élevé que d’une vingtaine de centimètres. Mais à partir de maintenant, il va faire des progrès et un nouveau monde va s’ouvrir à lui.

Épuisé, le petit fantôme n’entend même pas l’histoire que sa mère lui raconte, il s’endort d’un coup et rêve aux nouveaux exploits qu’il accomplira demain.