Mon nom

Perdu seul dans la nuit, je crie ton nom. Lorsque le doute m’envahit, j’implore ton nom. Dans la joie, l’ivresse, la folie, je chante ton nom. Lorsque le désespoir me taraude, je psalmodie ton nom. Ton nom est sur mes lèvres, dans mon cœur, il explose dans ma tête et ne laisse de place pour rien. Et tu n’es pas là. Tu ne me réponds pas. Je ne pense pas que tu m’aies oublié, mais mes invocations ne te ramènent pas. À trop hurler ton nom, à trop prier ton nom, je laisse de côté l’essentiel. J’ai oublié mon propre nom, et pour me raccrocher encore un peu à quelque chose, je murmure ton nom dans le noir. Parce que je ne peux pas te laisser partir, je préfère abandonner mon nom, qui résonne si faussement sans toi. Et peut être, lorsque je me serai complètement perdu, quand j’aurai oublié la moindre lettre de mon nom, quand je croirai suffisamment au tien, je te retrouverai, j’aurai un signe de toi, une réponse pour toutes ces heures à me rappeler ton nom pour ne pas t’oublier.

Sortie de nuit

Ils font une pause dehors et se ressemblent tous. Une bière à la main, de nombreuses autres dans le nez, ils parlent fort, sont exubérants ou se font des confidences hurlées dans l’oreille, “non, mais tu sais, toi, j’t’aime vraiment beaucoup”. Ils prennent tout le trottoir, ne s’en rendent pas compte ou s’en foutent, rien n’existe en dehors de la bulle définissant la portée de leur volume sonore. Ils sont bien, ils vivent l’instant. Ils se sentent horriblement mal, n’arrivent pas à régurgiter leurs bières ou leur whisky. Ce sont tous les mêmes, à chaque sortie de salle de concert, de boîte de nuit, de bar.

Est-ce que tout le monde passe donc les mêmes soirées? Peut être pas. Les autres, ceux qu’on ne voit pas, profitent de leur concert, de leur repas, de leur soirée. Ils ne participent pas aux discussions politico-philosophiques destinées à changer le monde. Ils ne racontent pas leurs souvenirs les plus intimes à de parfaits inconnus devenus l’espace d’une heure leur meilleur ami et la personne la plus compréhensive qu’ils connaissent. ils n’ont pas la sensation de plénitude que ressentent ceux qui ont passé la soirée “en off”, qui est toujours, bien évidemment, la meilleure que l’on puisse vivre. Ils emmagasinent des souvenirs, de la culture, des bons moments mais se sentent moins vivants que ceux pour qui rien n’existe en dehors du moment, du lieu, des personnes présentes. Et qui auront tout oublié d’ici demain, recherchant alors de nombreuses autres soirées de ce genre pour ressentir encore le monde et ne pas en rester spectateur.

Les mérites de l’infidélité

En amour, je suis fidèle. En amitié, je suis loyale. Au travail, je suis acharnée, à défaut d’être constante. Mais dès qu’il s’agit de danser, je ne puis qu’être volage, je ne connais aucune attache. Je passe de bras en bras, à la recherche de celui qui correspond le mieux à mon humeur, à mon rythme, à mes envies. Je me pose pour quelques danses lorsque je trouve une perle rare, puis je me sauve sans préavis dès qu’il montre un signe de fatigue, de lassitude ou une trop grande proximité. Toujours à l’affût de nouveaux talents, je me laisse entraîner par toutes les belles promesses. Je ne suis pas regardante sur l’esthétique, qu’importe le flacon pourvu que j’aie l’ivresse. C’est bien souvent dans les vieux flacons qu’on fait les meilleurs crûs, mais la vigueur de la jeunesse m’attire parfois.

Il m’arrive quelquefois, lorsque la soirée fut prolifique, d’initier un novice à la pratique, m’essayant à la patience pour apprendre à un débutant tout ce qu’il doit savoir pour bien danser, bien tourner, bien mener. Et je repars encore tourner dans d’autres bras, appréhender d’autres corps, connaître d’autres manières de faire.

Bien sûr j’ai quelques habitués, cavaliers dont je sais qu’ils s’accorderont à moi, faciles plaisirs pour une danse parfaite. Mais tout serait bien monotone si je ne devais me contenter que d’un ! Même un cavalier hors pair ne saurait me retenir bien longtemps tant le besoin de tester encore et toujours de nouvelles expériences me démange. Et si je me trompe, tombe sur un danseur tout mollasson ou tyrannique, je n’en suis que plus heureuse de trouver, l’instant d’après, de nouveau une valeur sûre.

Ad libitum

Posée là, sur le canapé, elle serre ses maigres bras autour de ses coudes anguleux. Si elle ne psalmodiait pas continuellement sa litanie, on penserait qu’elle fait partie des meubles. Un meuble qui se balance, joli mobile posé là sur le canapé. Une boîte à musique moderne, en quelque sorte. Pas très High-tech, plutôt bio-tech, elle est maintenant fondue dans le décor, comme le bocal du poisson rouge. On lui dit bonjour en arrivant, tendre réflexe de vie en harmonie. Et toujours en fond sonore résonne sa ritournelle, sans parole mais pénétrante. Sa façon de communiquer ses états d’âme que l’on intègre inconsciemment en passant à ses côtés. La journée nous use mais ne la change pas. Toujours tourne dans la tête une mélodie qu’elle nous souffle sans s’arrêter.

Petit homme qui vivait d’espoir

L’un après l’autre, ses espoirs ont été déçus, cassés, abandonnés. Il n’a pas une vie héroïque, il restera dans l’anonymat relatif et confortable que partagent des millions de ses semblables. Il ne travaille pas de sa passion. Il n’a pas une ribambelle d’enfants écourtant joyeusement ses grasses matinées dominicales. Il ne sait même pas s’il a rencontré celle qu’il pourrait appeler “la femme de sa vie”. Il a de la compagnie certaines nuits mais son rêve de mariage en grandes pompes est resté derrière lui, comme un chien abandonné sur le bord de la route.

Alors le petit homme qui vivait jusqu’à présent d’espoirs, faisant le bilan de sa vie, se trouve quelque peu démuni. Plusieurs choix se bousculent dans son esprit. Il pourrait abandonner maintenant, se laisser sombrer dans le désespoir, et le montrer au monde entier par quelque acte stupide et spectaculaire. Il pourrait se voiler la face, continuer à espérer de nouvelles choses, espérer voir venir un mieux dans sa vie qu’il trouve si vaine. Il pourrait changer de perspective, arrêter de vivre sa vie sur des “et si” en attendant mieux et regarder concrètement comment il pourrait se rendre la vie plus agréable, plus sensée, plus riche. Entre ces choix son cœur balance comme un pendu sur sa corde. L’image le rebute, il élimine la première solution. Pour le reste, il verra demain.