Dès que le printemps revient

Parait que les filles sont jolies dès que le printemps revient. A croire qu’avant elles étaient moches, et que les bienfaits de trois rayons de soleil vont changer tout ça en moins de trois mois. A croire surtout que notre ami Hugues n’avait jamais rencontré de pleureuse saisonnière. Les yeux bordés de rouge, la goutte au nez, le souffle rauque, une voix de camionneur, c’est sûr que les filles sont belles. A les voir, on pourrait penser que c’est la saison des amours et que des cerfs en rut ont choppé la myxomatose. Ce qui n’est pas tout à fait faux, car, avouez, c’est bien ça, notre taux d’hormone anormalement élevé, qui nous fait dire que les filles sont jolies dès que le printemps revient. Et qu’avec le printemps, comme par magie, reviennent nos espoirs de faciles conclusions.

Roquet

Chaque fois que je te vois

Où que je sois, le même émoi

Une claque en plein cœur m’atteint

Putain, tu ressembles vraiment à rien

Dans la cage d’escaliers tu erres

Encore mis à la porte par ton maître

Pigneur sans cervelle, des insultes se perdent

Imbécile animal, unique en ton genre

Et, fier de toi-même tu parades

D‘odieux glapissements sortent de ton ventre

Ah que ne puis-je une fois seulement

Une minute oublier ma conscience !

Coller un magistral et enthousiaste

Uppercut vengeur au fondement de la bestiole,

Libérateur pour mes sens malmenés.

C’est écrit

Telle beauté me touche, telle idée me révolte, tel souvenir m’émeut. Je voudrais exprimer tout cela, je voudrais l’écrire pour en garder la trace. C’est alors que je tombe sur un texte, une chanson, un poème qui décrit de manière exacte tout ce que je voulais dire. Je suis alors touchée, révoltée, émue. Et frustrée. Car j’aurais voulu l’écrire, moi, mais c’est déjà fait, et mieux que je ne pourrais. Je ne veux me comparer à ces mots déjà si bien posés, soignés, justes. Alors mes mots restent en moi et je me gorge de ceux des autres.

Et même ça, ça a déjà été écrit, “tous ces mots que d’autres ont fait rimer qui me tuent”, me volant l’originalité du sujet sinon de la forme pour le traiter.

Le moral dans les chaussettes

Lundi. Elles sentent bon, elles sont fraîches, il marche d’un pas alerte et décidé, il se sent sûr de lui. Il est bien dans ses baskets, il est d’humeur joviale et prêt à partir où le vent l’emmène.

Mardi. Il n’a pas plu hier, elles sont encore à peu près sèches. Elles ne sentent plus le frais mais ne puent pas encore. Il est  serein, prêt à poursuivre sur sa lancée. Son entrain est à peine émoussé, son endurance fait ses preuves.

Mercredi. Elles ont la texture particulière de celles qu’on a déjà un peu trop portées, mais qui peuvent encore tenir. Il n’est plus vraiment d’attaque mais prend sur lui, fait des efforts pour rester aimable, enthousiaste. Il poursuit son travail avec un peu moins d’ardeur mais laisse le rythme de sa journée le mener, stoïque, jusqu’au soir.

Jeudi. Elles commencent à franchement sentir, elles sont froides et moites. Il a un énorme coup de pompe, aimerait en avoir déjà fini et le reste de la semaine à venir le décourage. Il est morose, traîne la patte et baisse les yeux.

Vendredi. Elles n’ont pas pu sécher pendant la nuit, elles sont glacées, humides et sentent le maroilles. Il se sent sale, usé, bon à rien. Sa confiance en lui envolée, il a l’impression de charrier un boulet. Il essaie de ne plus penser à tout ce qui l’attend avant qu’enfin chez lui, il laisse sa fatigue de côté pour prendre soin de lui. Il a l’impression que la journée s’étire, qu’elle n’en finira pas.

Samedi. Elles sont en fin de course, ont une odeur pestilentielle, n’arrivent pas à sécher tant elles sont imprégnées de sueur. Il est épuisé, sa semaine l’a éreinté, il est lessivé. La seule chose qui lui permette de tenir, c’est de savoir que tout ça est bientôt fini, que la semaine prochaine il entamera un nouveau cycle et que tout sera de nouveau propre et net chez lui.

Dimanche. La machine à laver enfin tourne, frotte et rince. Tranquille chez lui, il va nu-pieds. Il flotte un peu, déconnecté, le cerveau au repos.

Dix ans plus tôt

Tu me voudrais docile, je n’en fais qu’à ma tête. Tu me voudrais serviable, j’assure le strict minimum. Tu me voudrais reconnaissante, je n’oublie pas que comme nous tous, tu pensais à toi avant tout et les mercis que je peux distribuer ne te conviendront jamais. Tu voudrais que je sois ton faire-valoir, jamais pourtant tu ne pourras revendiquer ma réussite, elle ne t’appartient pas. Tu me voudrais souriante, j’offre ma joie de vivre à d’autres. Tu me voudrais pantin, jamais ma volonté ne m’a quittée pour te résister.

Tu auras beau essayer, tu auras beau crier, tu auras beau me forcer, je ne serais jamais celle que tu veux que je sois.