Aujourd’hui c’est un bon jour pour réaliser son rêve. Terrassant sa timidité, il s’apprête à mener pour la première fois “son” orchestre. Dans la fosse devant la mare, les mâles sont répartis. La capacité de leurs sacs pulmonaire a été évaluée trois jours plus tôt. Ils sont prêts à jouer le chant de leur parade, les femelles étant installées tout autour de leur fosse. Le chef d’orchestre a réussi à réunir des pic-verts pour assurer les percussions et leur offrir un contre-point flatteur. Si ce soir, le grand soir qui marque l’entrée dans la saison des amours, son orchestre se distingue de celui de l’étang voisin, alors c’est sûr qu’il aura gagné estime et respect de la part des demoiselles qui vont l’écouter. Sa descendance pourra profiter de l’occasion pour se reproduire encore et encore, concurrencer les points d’eau des environs, et, pourquoi pas, gagner la suprématie sur la commune, le département, la région. Il se voit déjà, avec ses armées de descendants, en train de conquérir le monde. Décidément, Cortex avait tout faux. Il suffit de faire chanter les mâles de sa famille. Et pour ça, il se tient prêt. C’est parti !
Vingt-huitième jour
Encore un jour.
Je contemple ce gâchis, le sang répandu, qui n’est pas toi.
Qui ne sera jamais toi.
Cela fait longtemps que je te guette, que je cherche un signe de toi. Ici peut être la courbe d’une lèvre qui se retrousserait en un sourire. Là l’esquisse d’un poing fermé bien serré en dormant. Ou encore une trace laissée sur les draps par ton corps tout chaud.
Mais tu n’es pas là. J’ai beau attendre, tu ne viens pas. Seulement ce sang qui me nargue et me fait mal à l’intérieur, au plus profond de mon essence. Je reste seule avec lui, qui certainement t’attend aussi.
Tu n’es pas là pour nous lier, nous rassembler, nous ressembler. Nous restons morceaux épars, simples personnes qui se côtoient, poursuivant nos vies l’un contre l’autre. Et toi, chaînon manquant, quand te glisseras-tu entre nous pour cimenter nos mains entrelacées?
Le temps emporte l’âge
Petit à petit, le temps tire sur la corde. Un jour, c’est sûr, il gagnera. En attendant, il emporte chaque jour un peu de nous, et on ne s’en rend compte qu’en ces occasions plus ou moins festives où le temps nous emporte un an d’un coup.
Petit à petit, le temps nous pousse de l’avant. Il remplit notre bagage de souvenirs, d’expériences, de vécu. Il sait se faire apprécier, le temps qui passe… Il nous distille au compte goutte ses petits moments, douceurs et liqueurs de vie, simples amuse-gueules qui nous font espérer le dessert.
Beaucoup de bruit pour rien
Cela fait des mois qu’il en entend parler et sa déception est à la hauteur des espérances qu’il avait. Pourquoi lui promettre tant et tant si au final il se retrouve aussi quelconque qu’avant? Il se serait contenté de la situation si personne ne lui avait dit à quel point la vie serait merveilleuse après LE changement.
Or LE changement est arrivé voici trois mois, et rien, pas une fille qui se retourne sur son passage, toujours les mêmes refus, il ne se sent pas plus grand ni plus fort ni plus viril qu’avant. La vie est toujours désespérément la même. Même ses amis masculins n’ont rien remarqué et continuent de le traiter affectueusement de petit. Sa mère lui fait encore de gros câlins quand il rentre de l’école, même s’il sait bien, lui, que ce n’est plus du tout de son âge… Son père ne lui a encore pas proposé de moments privilégiés “entre hommes”, maintenant qu’il en est un.
Non, décidément, cette histoire de premier poil, ce n’est vraiment qu’une arnaque…
Bon gré, mal gré
Malgré toi, je reste de bon gré. Ta mauvaise humeur constitutive, tes manières, tes piques de mauvaise foi ne m’atteignent pas, je poursuis ma route en choisissant librement chaque intersection. Tu ne peux me miner le moral, tu ne peux obscurcir mon jugement. Tu ne peux me contraindre. Malgré toi, je garde la tête claire et amère sera ta défaite quand tu verras ma réussite en dépit de tes efforts acharnés pour me garder sous ta coupe. En apparence je serai la personne que tu crois, faible, malléable, soumise. Mais au fond de moi, bien loin de toi, je construirai mon armure, renforcerai mon squelette et ma force sera à peine contenue. Dans mes yeux, quiconque m’observera verra la rage de vivre, l’appétit de tout que tu ne sauras jamais m’enlever, qui m’appartient et me fait tenir debout. Je construis moi-même chaque brique de moi, à l’abri derrière le mur d’indifférence ou de mépris que tu m’offres en support.
À toi mon adversité, je dois la connaissance de mes capacités, ma force qui reste à mes côtés, sur qui je peux compter, bon gré mal gré. Un jour peut être, pour ça, je te remercierai.