Mot d’excuse

Monsieur le directeur,

je vous prie de m’excuser pour hier soir, je me suis égarée. Il est bien évident que j’ai mal interprété votre proposition de “promotion-canapé”. Vous trouverez ci-joint la facture vous permettant la reprise du meuble considéré ainsi que son remboursement. Je vous laisserai le soin d’expliquer à votre femme que l’erreur vient de ma part et que vous ne m’avez jamais demandé de nouveau canapé.

Concernant ma promotion -si votre offre tient toujours- j’ai pris le soin de préparer petits fours et canapés pour ce soir, vous n’aurez qu’à passer à la maison les déguster. Comme je suis fine cuisinière, il me semblait vraiment trop facile d’obtenir une promotion de cette manière et c’est pour cela que je n’ai pas compris où vous vouliez en venir l’autre jour. Mon mari et mes enfants seront ravis de vous rencontrer et vous témoigneront toute leur gratitude pour la chance inespérée que vous m’offrez à moindre frais.

Je vous prie d’accepter encore une fois mes plus plates excuses,

Sincèrement vôtre,

Elena.

Mazurka

Avant même de commencer à danser, le rythme s’immisce dans ma tête pour emporter mes pieds. Un, deux, trois… Ma-zu-rka. Un, deux trois… De mes yeux qui s’affolent, je cherche le partenaire, celui qui danse la même variante que moi. Trouvé. Aussitôt, la danse nous entraîne dans sa fluidité. Deux pas, un petit saut, un petit tour. Deux pas, un petit saut, un grand tour, dans l’autre sens.

Ma main sur son épaule, sa main qui maintient mon dos, il me guide doucement mais fermement, je suis en confiance. Lorsque les deux danseurs et la musique ne font plus qu’un, les yeux fermés je m’abandonne. Tourne ma tête, tourne ma jupe, tournent mes pieds, toujours dans un sens, puis dans l’autre, sans accroc et sans contre-temps.

Lorsque vient la fin de la danse, le temps de l’entre deux est nécessaire pour reprendre mes esprits, pour caler mon regard qui continue à tourner, et remercier mon partenaire.

Mauvaise graine

Dans ma famille, on me dit que je suis de la mauvaise graine, que je trahis mon nom, qu’on ne fera jamais rien de moi. A l’école, on me dit que je promets, que j’irai loin, que j’ai de l’avenir. Je ne sais plus qui croire. Je suis pourtant le même chez moi et à l’école. Sage, honnête, je travaille, j’aide aussi ma maman à travailler. Il parait que ce n’est pas le rôle d’un homme d’aider sa mère. Même ma mère me le dit. Elle ne sait pas ce qu’elle a fait pour avoir un fils pareil. Les autres élèves disent que je fayote quand j’aide la maîtresse. La question que je me pose, c’est “qu’est-ce qu’ils attendent de moi, tous?” Quand je suis un filou à l’école, je me fais gronder et les enfants m’évitent. Quand je suis un filou à la maison, je me prends des taloches mais tout le monde est fier de moi. Quand je suis sage à l’école, on me félicite mais les enfants m’évitent. Quand je suis sage à la maison, je me prends des taloches et on me regarde comme un ver de terre. Alors quoi? Je ne sais pas ne rien être. Je dois être de la mauvaise graine, ça doit être vrai quelque part. Une graine mal née. Une graine de coquelicot germée au milieu des chardons. Une graine de coquelicot qui essaie de s’intégrer aux parterres de roses ou de tulipes. Quoi que je fasse, je serai repéré. On ne voit pas de parterres de coquelicots. Ce sont des fleurs qui poussent, ça et là, parmi les autres. Et qui ne font pas long feu.

La preuve par trois

Un . Ta main dans la mienne pour marcher de concert. Ton réflexe de protection quand tu sens un danger ; le pas en arrière que tu m’obliges à faire, avant même de savoir ce que j’ai pu voir.

Deux. Ta capacité à me déchiffrer, que je le veuille ou non. Sans un mot ou sans un regard, tu sais ce que je ressens. Tu t’y adaptes ou pas, selon ton humeur, mais à chaque fois j’ai la certitude que le message est passé. Pas besoin de te dire que quelque chose me touche, tu redeviens sérieux et restes à ma disposition au cas où je veuille le partager. Impossible d’être en colère contre toi plus de deux minutes, tu désamorces toutes les situations d’un sourire désarmant.

Trois. Ton regard qui accroche sur moi, alors que tu me connais déjà par cœur. La gourmandise dans tes yeux sans cesse renouvelée, pour un corps qui pourtant t’es désormais familier. J’ai beau savoir que jamais tu ne te lasseras d’une pizza ou d’un verre de whisky, ton appétit de moi me ravit et me rassure. Tant que c’est dur, c’est que ça dure.

En réponse muette aux questions que je ne pose pas, j’ai de toi la preuve par trois.

Écrire

Écrire. Toucher du doigt le pouvoir. Donner vie en quelques minutes à un personnage totalement nouveau. Parcourir avec lui l’arbre des possibles, choisir pour lui ses orientations, ou bien se laisser emporter et le suivre dans ses folles aventures, sans rien maîtriser. Tenter de communiquer avec ses lecteurs en étant certain d’une chose : ils ne comprendront jamais ce que l’on voulait dire exactement. Découvrir avec eux de nouvelles possibilités sur nos textes, qui vivent leur vie indépendamment de tout contrôle de notre part.

Écrire des mots pour rire qui feront pleurer, écrire des mots qui touchent et affronter le rire des autres, donner de soi sans personne pour le recevoir, mettre de la distance mais émouvoir quand même. Écrire pour mettre en ordre ses idées, écrire pour s’immerger dans autre chose, créer une histoire et découvrir la fin qui vient toute seule. Décider arbitrairement de ne pas satisfaire ses lecteurs. Se faire plaisir avant tout, mais être déçu quand on n’écrit pas aussi bien que l’on voudrait.

Effacer les mots. Autant de formulations qui ne verront finalement pas le jour, imparfaites ou trop pédantes, pas à notre goût tout simplement. Recommencer autrement. Ou de la même manière, finalement, parce qu’on ne trouve pas mieux. Nuancer, accentuer, améliorer notre idée de départ jusqu’à ce qu’on n’aie pas trop honte de livrer le résultat. Ou tout écrire d’une traite, comme un sprint, sans regarder en arrière et laisser le texte tel quel.

Écrire pour pouvoir dire “je” sur des situations jamais vécues ailleurs que dans notre imaginaire, lieu protégé où il se passe tant de choses. Écrire pour faire partie de ceux qui peuvent dire “j’écris”.