Les bons conseils d’une Tata

Ma très chère nièce,

Tu es grande maintenant, tu entres dans l’âge que l’on nomme ingrat de la presque adolescence. N’attends pas de moi les habituels conseils que tout le monde te rabâche (lutte à mort pour ta virginité, sois bien sage si tu veux réussir dans la vie, ne monte jamais en voiture avec un inconnu, garde ta ligne et j’en passe). Je voudrais réellement t’aider pour ce qui risque d’être les meilleures années de ta vie.

Tout d’abord, ne fais pas de choses stupides. Ne fais pas le mur pour sortir, tu finiras par te faire avoir. Si tu dis que tu vas dormir chez une amie, mets-la au moins dans la confidence, ça t’évitera bien des soucis.

Choisis pour meilleure amie “quelqu’un de bien” que tes parents approuveront sans réserve. Paie-la s’il le faut. Si par chance tes parents croient que ta complice de toujours est un ange, ne les détrompe surtout jamais. Même s’ils essaient de te comparer à elle et que tu ne lui arrives pas à la cheville. Tous les parents ne donnent pas leur bénédiction aussi facilement. Profites-en à fond et couvre-la toujours.

Ne rentre jamais bourrée à la maison. Si tu prévois de boire beaucoup, trouve un endroit où dormir, même si c’est un caniveau. En revanche, les jours où tu seras “un peu pompette” fais comme si tu n’avais jamais bu autant et dis que tu ne te sens pas bien. Ils t’engueuleront sur le coup mais seront soulagés pour un moment.

Écoute d’une oreille attentive les gens qui te mettront en garde contre les garçons. Ils te diront que ce ne sont que de grands sacs d’hormones et qu’ils ne pensent qu’à une chose, peu importe leur comportement (les gentlemen, les poètes, les bad boys et les asociaux ne pensent qu’à ça, même s’ils ne savent pas tous comment mener à bien leurs projets). Cela est tout à fait vrai. Mais n’oublie jamais que tu ne vaudras pas mieux et qu’aussi fleur bleue ou amoureuse tu penseras être, tu n’es toi aussi qu’une amphore remplie d’hormones en quête de sensations. D’où mon conseil : arrange toi pour ne pas tomber enceinte, et pour qu’au moins une de tes amies te couvre et sache où tu es (si tu dois être dans une situation délicate, choisis une amie de confiance, muette de préférence).

Enfin, ne te confie jamais à ta grand-mère. Aussi sûre qu’elle puisse te paraître, un jour ou l’autre elle ne manquera pas l’occasion de rappeler à ta mère à quel point elle te connaît mieux qu’elle et étalera ta vie privée.

Mon très cher neveu,

Pour toi, c’est plus simple. Mène ta vie amoureuse comme tu l’entends -quoi que tu fasses, ce sera bien. Mais si tu veux avoir la paix et éviter questions ou sous-entendus, pense à inviter quelques amies (paie-les s’il le faut) présentables. Ramène aussi épisodiquement des amies non présentables -voire carrément vulgaires- pour que le jour où tu présenteras l’élu(e) de ton coeur, la comparaison soit toujours en sa faveur.

Dans la mesure du possible, évite de faire des trucs illégaux, et, surtout, si tu le fais, n’en réfère pas à un adulte bienveillant dont le premier souci sera de te remettre dans le droit chemin (c’est valable pour moi aussi).

Enfin, ne sois pas trop sage, ça paraîtra toujours louche. Même si tu n’aspires qu’à écrire de beaux poèmes dans ta chambre d’étudiant, laisse toujours tes parents croire que tu es quelqu’un d’espiègle et qu’ils ont finalement de la chance que tu ne sois pas un “vrai” délinquant, mais seulement un adolescent un peu fou-fou et plutôt bien canalisé. Note que ce conseil s’applique également si tu es un “vrai” délinquant. N’essaie pas de jouer les fils modèles, ça attirerait trop d’attentions sur toi. Fais régulièrement des choses stupides mais sans conséquence, c’est un camouflage bien plus efficace.

Voilà, mes chers enfants. profitez à fond de ces années dorées. En cas de problème, pensez bien à détruire cette lettre et ne parlez pas de moi. Vous apprendrez ainsi à assumer les conséquences de vos actes et vous deviendrez des adultes responsables.

Je vous embrasse bien fort,

Votre Tata qui vous aime.

Âpre fleur

Contrainte : intégrer douze mots choisis à l’avance.

Saurez-vous les retrouver?


 Vingt ans. Je suis, parait-il, dans la fleur de l’âge. Fleur âpre au goût amer lorsque je vois mon visage dans la glace. Fleur dont le nectar goutte à goutte s’évapore. Inéluctablement. Une fois l’aurore passée, la journée se déroule lentement, sans accroc, jusqu’au soir. Il en sera de même pour mon apparence : A peine éclose, je vais aller petit à petit vers la décadence de mon corps. Avant que j’aie le temps de me familiariser avec ce corps vigoureux et frais, je glisserai de « quelle jolie jeune fille » à « pas mal pour son âge ». Petit à petit, les rendez-vous chez la gynécologue cèderont la place aux visites chez le proctologue. L’exaltation de la jeunesse, éphémère, fera le lit de la rancœur, de l’aigreur, de la résignation. A moins que je ne sois de celles, qui paisibles, restent telles des rocs dans la tempête, strictement égales à elles-mêmes au fil des ans. Je ne sens pas chez moi ce caractère fort, inoxydable, imperturbable. Je me sens plus proche du bois, vieillissant en intégrant les marques du temps qui passe, que de l’acier trempé. Je sais que mon visage accusera le coup des jours tout comme il indique clairement lesquelles de mes nuits ont été trop légères.

Ne pas penser à ce foutu temps qui passe. Je suis jeune, j’ai la vie devant moi. Jeune femme de mon temps, je ne cherche pas à sonder les abysses de mon esprit, la conscience de mon corps me suffit. Je voudrais l’immortaliser par tous les moyens à ma portée, photographies, sculptures ou aquarelles. Avoir un temple à mon image, figée à mon apogée, pour prouver à tous lorsque je serai écrasée par le poids des ans que j’ai eu mon heure de gloire.

Rien ne sert d’essayer de retenir cette image de moi qui déjà m’échappe. Très peu pour moi les crèmes anti-rides, séances de sport ou régimes à base d’endives. Si le temps passe et doit me défigurer, qu’au moins je ne me prive pas dans ma beauté pour que, quoi qu’il en soit, dans trente ans mon compagnon me quitte pour une donzelle de vingt ans. Je veux profiter de ces courtes années où tout me sera permis grâce à mon joli minois. Me rouler dans le foin dans la grange, enchaîner les histoires ou sauter à l’élastique. Je veux tout faire, tout vivre avant qu’on me force à me rassoir et qu’on tue toute velléité d’aventure de ma part. Je veux pouvoir regarder la vie devant moi et celle dans mon dos avec le même sourire flottant.

Je veux qu’à la fin de ma vie, lorsqu’on regardera l’écume laissée par les jours passés, ces instants riches en promesses imprègnent le reste de mon existence.

Le temps

Je n’avais jamais le temps, en tous cas pas assez pour vous qui en aviez trop. Je me disais “le week-end prochain, c’est sûr, je les appelle”. Et puis je n’y pensais plus, absorbée par ma vie, entraînée par mon rythme de choses à faire, pas si importantes mais bien souvent pressantes. Je pensais que du temps, tu en avais, même si quelque part j’avais conscience que le compte à rebours était lancé. Le temps t’est maintenant compté ; jours, semaines, mois, années? Qui peut le dire? A moi de te donner ce que tu n’as pas demandé : du temps pour toi, du temps pour rattraper celui qu’on a perdu, ces années envolées. Il n’est pas trop tard, mais j’ai l’amer sentiment que j’aurais pu faire plus, que j’aurais dû être là, même si ma vie n’était pas avec vous.

Je sais bien qu’on ne vit pas au même rythme, que mes visites seront bien espacées pour toi qui vois le temps défiler. Mais je ferai du mieux que je peux pour partager avec toi un peu de mon temps, pour que tu saches au moment de partir que pour moi tu comptais vraiment.

Désir de bouche

Croquant ou fondant, je ne pourrai m’en lasser

Habituel délice à mon palais porté

Or noir s’il en est, à la saveur enivrante

Carré après carré, la fonte sera lente

Ou, dans un instant glouton, vite avalée

La tablette engloutie est déjà oubliée

Alors mon corps se tend pour ranimer l’instant

Tentation entêtante, désir des gourmands

Aube

Les nuages, roses, moutonnent dans le ciel. Le soleil n’est pas encore visible, la luminosité ressemble à celle d’un crépuscule. Le ciel livre sa palette de couleurs, du bleu sombre au rose vif. Au fur et à mesure que le jour se lève, les oranges, rouges, bleus pale apparaissent et disparaissent, les dégradés se modifient et le tout tend vers le bleu. Bleu ciel, bleu clair, bleu pur dans ce froid matin d’automne. Les couleurs du ciel rappellent les teintes des feuilles, mourantes, qui étalent leurs oranges, jaunes, pourpres, rouges, marrons pour le plaisir de nos yeux. Belle nature qui s’endort lentement, avec autant d’élégance que lorsqu’elle se réveille.