Compromis

Comment en était-on arrivés à un tel compromis? Moi qui étais si prude, voilà que j’acceptais de poser dans des magasines de charme. Et en échange de quoi? Le gîte, le couvert et son silence. Elle appelait ça un compromis. J’aurais bien appelé ça du chantage, mais je n’étais pas en état de négocier, et elle n’aimait pas vraiment que l’on joue sur les mots.

Et tout ça pour quoi? Je ne me rappelle déjà plus. Suite à un stupide concours de circonstances, elle avait voulu que j’accepte certaines visites nocturnes moyennant rémunération. Ce que bien sûr, j’avais refusé catégoriquement. Et je n’en ai pas démordu. Pour s’adapter à mes exigences, mais me montrant bien que c’était un énorme effort pour elle et qu’elle ne diminuerait pas son offre, elle m’a proposé cette solution alternative. Ainsi, je restais chez elle gratuitement pendant le temps nécessaire pour éponger ma dette, et en échange, je lui devais un certain nombre de photos de charme publiées. Enfin, quand je dis charme, j’allège les mots. Refusant au départ de montrer mon intimité, j’ai vite compris que ça me rapporterait plus de me mettre en scène, complètement. Et que je pourrais la fuir plus rapidement.

Mais qu’avais-je bien pu faire pour me la mettre à dos de cette façon? Je ne l’avais pas volée, ni violentée d’aucune manière. Si je me rappelle bien, tout était parti d’une confidence que je lui avais faite, alors que j’étais dans une position vulnérable. Elle connaissait ma situation délicate, mon licenciement et mes créances de jeu que je n’avais pu lui cacher. Lorsque je lui ai avoué, la croyant digne de confiance, que j’avais fui mes parents et qu’ils me croyaient mort, elle s’était montrée très, très gentille.

Quand je lui ai demandé les raisons de sa subite proximité, elle m’a annoncé qu’elle porterait plainte contre moi pour viol si je ne faisais pas ce qu’elle voulait. Et c’est comme ça que j’étais devenu, petit à petit, modèle pour photos très osées dans la presse pour adulte. Elle, de son côté, n’aiderait pas mes parents à retrouver ma trace (à moins qu’ils ne lisent eux-mêmes ce genre de revues…).

Tunning

Henry est cadre moyen dans une industrie d’agro-alimentaire. Employé ordinaire d’une grande société anonyme. Il ne fait pas de vagues, il ne brille pas, il aime son travail autant qu’on peut aimer une rassurante routine. Personne ne se plaint de lui ; sans être l’employé modèle, il est poli et ponctuel, son travail est correct.

En dehors du travail, Henry personnalise une de ses voitures, son bijou, sa pouliche. Il l’a récupérée à la casse, épave de trois fois rien… Depuis, il passe ses loisirs à la retaper, lui ajouter des baffles, refaire la peinture, aménager l’intérieur. Maintenant, c’est une petite merveille qu’il aime sortir, pour faire des tours de ville, fenêtres ouvertes et sono hurlante. Il ne cherche pas par là à sortir de l’anonymat. Peu importe que lui soit connu. Mais il montre au monde entier (enfin, soyons modestes, à la ville entière) son art, ce qu’il a créé de ses mains, ce qui sans lui n’aurait été qu’un tas de poussière. Il ne veut pas qu’on retienne son nom, après tout peu importe. Il ne veut pas se faire remarquer, lui. Il se cache dans sa voiture ultra voyante pour passer inaperçu, se fait passer pour celui qu’il n’est pas, pour que l’on ne voie pas celui qu’il est réellement, l’anonyme ordinaire d’une grande chaîne d’agroalimentaire.

Défier les apparences

Il parait que je suis arrivé comme un cheveu sur la soupe, quand personne ne m’attendait. Un accident, comme on dit. Maman était trop vieille, elle n’y croyait pas, et Papa est parti quand il l’a appris. Pas de ma faute, mais on dirait que c’est écrit sur mon visage. Je le ressens à chaque regard de Maman, depuis presque trente ans.

Il parait que bientôt, Maman va partir et que je ne pourrai plus la voir. J’aimerais bien qu’elle m’emmène avec elle mais elle a le regard dans le vague chaque fois que je le lui demande.

Il parait que je suis socialement inadapté. On m’appelle bon à rien, poids mort, boulet, instable. Je ne travaille pas, mais Maman a quand même quelques sous grâce à ma pension. Personne ne sait que j’invente des histoires, je ne les raconte à personne puisque personne ne m’écoute. J’aimerais pouvoir les dire à des enfants, que j’imagine plus gentils et plus doux que les adultes, et surtout avec plus d’imagination…

Il parait que pour mon bien je vais aller moi aussi en voyage, dans un centre avec des gens comme moi. Que c’est mieux pour tout le monde. Évidemment, on ne me demande pas mon avis, c’est une constatation. Maman est vraiment trop vieille pour s’occuper de moi, elle est très fatiguée. Je sais bien que je la fatigue, elle me le dit souvent.

Il parait que là où je vais, les gens sont gentils mais que je n’en sortirai pas tant que je n’aurai pas une insertion socio-professionnelle. Je pense aussi que là bas, personne ne me connaît. Je ne suis plus obligé d’être l’inadapté. Peut être que par rapport aux autres, je serai ouvert. Je serai dégourdi. J’ai de l’imagination. Peut être que je pourrai être créatif, communicatif. Et peut être qu’un jour, je pourrai vivre.

Je n’ai donc plus le choix. A moi de défier les apparences. Avec aplomb.

Hier j’ai violé ma sœur

Hier, je suis entré dans la chambre de ma soeur pendant son sommeil. Je cherchais simplement une revue que je lui avais prêtée. J’ai ouvert sa table de nuit et suis tombé sur son journal. Je n’ai pas pu résister. Je l’ai lu du début à la fin, en prenant mon temps, assis sur le rebord du lit de ma soeur endormie. Ces petits mots de rien, tendres émois adolescents, trahissant sans jamais en rendre compte les terribles séismes qui chaque jour la secouent. Ces mots ne sont plus secrets pour moi, je les ai profanés, regardant en même temps l’auteur des lignes. Non pas pour vérifier qu’elle dorme toujours. Pour compléter ma jouissance de voler ses secrets. Les lire sous son nez, et violer une seconde fois son intimité en la lorgnant au moment où chacun est le plus vulnérable, sans même qu’elle le sache. Ce que j’ai fait était tellement excitant que, pour un instant, j’ai oublié où j’étais et me suis imaginé dans une salle obscure ; quelques scènes aux lumières stroboscopiques m’ont fugacement traversé l’esprit. Un soupir prolongé de ma soeur m’a ramené à la réalité.

Une fois ma lecture terminée, au moment de partir, j’ai hésite sur ce que je devais faire. Tout remettre en place, soigneusement, pour qu’elle ignore à jamais mon passage clandestin? Laisser ostensiblement son journal à une autre place, ouvert à la page la plus sulfureuse pour la donner à lire à quiconque passera et dévoiler mon intrusion nocturne? Cette pensée a fait monter le sang en moi, mais j’aime assez ma soeur pour ne pas le faire. J’ai reposé le journal à sa place, lissé le bord du lit pour effacer la trace de mon siège, et déposé un baiser sur son front. Je suis ressorti sans faire de bruit et ai fermé la porte le plus doucement possible, laissant ainsi ma petite soeur à son univers onirique.

Ce n’est pas le physique qui compte

Ce n’est pas le physique qui compte. Voilà ce qu’a dit ce matin la maman de Justine à sa fille. Parce qu’elle venait de se moquer d’une fille de son âge à cause de sa petite taille, Justine s’est pris ce mensonge en pleine tête. Bien mérité, me direz vous, elle n’avait qu’à pas se moquer. Mais quoi de plus faux que cette petite phrase qu’on répète à tout bout de champs… Oh, bien sûr, le physique ne fait pas la personne. On peut même être quelqu’un de très bien en étant moche comme un pou. Parce que les critères esthétiques ne sont pas universels, tous les goûts sont dans la nature, ce qui compte c’est la beauté intérieure, chacun peut trouver chaussure à son pieds, et caetera… Mais quand on demande à Justine de bien s’habiller pour aller à l’école le jour de la rentrée, c’est bien que son apparence va avoir une quelconque importance. Quand sa maman se maquille et se coiffe pour voir son voisin, ça ne compte pas, peut être? Pourquoi est-ce qu’elle a si envie d’être amie avec le petit nouveau qu’elle ne connait pas, alors qu’elle n’a jamais voulu adresser la parole au grand Xavier qui est pourtant depuis deux ans dans sa classe? Au final elle ne connait ni l’un ni l’autre, mais elle se sent vraiment en phase avec Quentin, le petit nouveau, alors qu’elle ne croit rien partager avec Xavier. Ca doit être des broutilles, sûrement. Les adultes doivent savoir de quoi ils parlent. Mais quand même quelle drôle d’idée ! Si c’était si peu important le physique, pourquoi est-ce qu’on s’embête tant avec ça? Pourquoi est-ce qu’on y tient tant, à ce corps, qui est si insignifiant face à notre intelligence, notre sens de l’humour, notre gentillesse?

Si Justine avait conscience de tout cela, elle traiterait sa mère d’hypocrite et lui expliquerait patiemment que notre apprence, c’est notre carte de visite, notre premier contact avec notre environnement et nos semblables. Que sans se baser sur des critères esthétiques, la première impression (qui est censée être la bonne, selon la croyance populaire) laisse une marque, qui peut être tenace… Seulement Justine est trop jeune pour répondre à sa mère de la sorte, et elle essaie de se mettre dans la tête, pour lui faire plaisir, que le physique ne compte pas et que c’est vraiment une méchante fille. Et ça, ça compte, si on en croit ses parents.