Depuis que la poésie a été interdite par le gouvernement, elle m’obsède. Doux vers jadis ignorés, je suis désormais touché au cœur à chaque rime volée. Je m’abreuve de ce style interdit, ivre de poèmes et de danger. Je n’ose encore écrire sous cette forme technique, tentatrice mais meurtrière de nos jours. Je me contente de poser dans ma prose quelques rimes cachées, de respecter certains rythmes, pour lui donner de la force, subtiles traces de poésie pour l’œil attentif. J’écris frénétiquement et exorcise mes démons en flirtant avec les limites. J’en profite tant qu’écrire pour écrire est encore toléré. Mais je ne me fais pas d’illusions. Si la poésie déchaîne plus de passions que ne peuvent en supporter les cœurs patriotes, je sais qu’un jour prochain tout texte à visée récréative sera prohibé. Je m’enrôlerai alors dans le service de communication de l’Etat, qui sera le seul à pouvoir mettre un mot après l’autre, à savoir lier les lettres pour former des messages s’adressant aux masses avides des miettes de lecture jetées à leurs pieds. J’écrirai pour le simple plaisir d’écrire, peu importe la commande ; je jouerai toujours à cacher d’infimes parcelles de lyrisme dans les écrits gouvernementaux. Et ma mort sera à elle seule un poème adressé à tous les poètes clandestins, le plus authentique que je pourrai jamais leur livrer.