C’est donc ça, ce qu’on appelle un adolescent. Cette pensée lui traversa l’esprit tandis qu’il percevait le maelström d’émotions ambiantes par ses canaux empathiques. On lui en avait bien parlé avant, lui prédisant qu’il le saurait s’il venait à en croiser, on l’avait averti, on lui avait dit de prendre ses précautions. Enfin, il en voyait un. Il se demanda alors comment faisaient les humains pour supporter un tel tourbillon d’émotions pures, explosives, profondes. Puis il se rappela qu’ils n’étaient pas du tout équipés pour les percevoir. Tout juste pouvaient-ils en deviner l’essence, pour les plus doués, grâce à quelques expressions faciales, postures ou intonations. Rien à voir évidemment avec la force brute que les individus de son espèce recevaient en permanence de tout être vivant. Ça expliquait donc pourquoi les humains les contrôlent si mal. S’ils avaient la moindre idée de l’énergie qu’ils dégagent, des dégâts qu’ils peuvent causer avec ces forces non canalisées, peut être apprendraient-ils.
Le premier éblouissement passé, il reporta son attention sur le spécimen posté devant lui. Essaya de démêler l’écheveau d’émotions devant lequel il était installé. Remarqua sans peine la rage sourde, bruit de fond constant, moteur apparent de tout le système. Une rage de tout, qui avait l’air de stimuler les émotions négatives comme les positives. Intéressant. Il nota ensuite une oscillation assez rapide de joie et de dépression, à tel point qu’il crut au départ que les deux étaient exprimées simultanément. Il affina son observation et vit que l’alternance de ses deux émotions primaires entraînait un emballement de toutes les émotions qui leur sont associées, de près ou de loin (optimisme, confiance, sentiment d’injustice, mépris, admiration, émerveillement, honte, ennui…). Il observa également que certaines sensations de l’individu n’étaient même pas traitées mais renvoyées telles quelles vers le cosmos. Il comprit d’où lui venait l’impression de vertige qu’il avait ressentie sitôt en contact avec cet adolescent. Et se demanda comment celui-ci avait pu survivre à ne serait-ce qu’une journée de cette tempête hormonale.
Il décida que c’en était assez, et s’éloigna en trottinant, notant sur le réverbère l’emplacement approximatif de cet être étrange, pour prévenir la cantonade de ce qui les attendait.