Dans ma petite tête, je l’appelais la ruelle des plaisirs. J’étais bien loin de savoir à quoi ça pouvait faire référence dans la tête des grandes personnes, je n’y ai repensé que bien plus tard, avec une grande pointe de nostalgie, et un petit sourire flottant. Dans cette ruelle, il y avait ma copine Manon, un petit chat errant miteux mais très câlin, et la boutique de bonbons. J’y passais autant d’heures que je le pouvais, en dépit de l’interdiction de ma mère. Elle ne voyait que la gadoue, les poubelles renversées, les passants trop peu nombreux et vraiment pas “recommandables”. Quand plus tard j’ai appris que c’était là qu’on vendait les poudres à rêver dans mon village, j’ai compris que sans le savoir, je lui avais trouvé un nom parfait. Ne manquaient au final que les prostituées, qui avaient été délogées avant ma naissance, encore heureux, d’après ma mère. Moi je comptais les puces sur le chat en très agréable compagnie, je racontais à Manon tout un tas de blagues qui la faisaient rire et je lui offrais des bonbons. De temps en temps, on montait chez elle, mais sa mère à elle ne m’aimait pas beaucoup. Je n’étais pas “du même monde” que sa fille, pas assez bien pour elle sûrement. Alors on restait le plus souvent dehors, assis sur des escaliers, dans quelques recoins pour que personne ne nous dérange, et on regardait passer les heures avant l’inévitable sermon de chacun de nos parents quand il se rendaient inévitablement compte qu’on leur avait encore menti.