Sur mon tricycle jaune

Cheveux au vent, je dévale la pente sur mon nouveau tricycle jaune. Personne ne peut rivaliser avec moi, je suis le plus rapide, le plus fort, le plus class’. Tous les enfants du quartier me jalousent. Ils parlent entre eux, me montrent du doigt. Peut être même se moquent-ils de moi. Peu m’importe, tant que je file sur mon tricycle jaune.

J’ai tant attendu pour avoir enfin ce tricycle ! Tatie Rose, qui s’occupe de moi, me disait souvent que ce n’était pas de mon âge. Mais à force de la supplier, d’être gentil pour lui montrer ma bonne volonté, elle a fini par céder. Pas besoin de roulettes, c’est un tricycle, c’est stable, je ne risque rien. Équipé avec un casque jaune assorti, je double les vélos, les rollers et je ne freine qu’au tout dernier moment, avant le virage que je n’ai pas le droit de dépasser.

Comme je me sens libre sur mon tricycle jaune ! Même si elle s’en fait pour moi, Tatie Rose me laisse seul, elle me regarde simplement par la fenêtre pour vérifier que rien de fâcheux ne m’arrive. Oubliée ma vie et ses frustrations quand le vent soulève mes cheveux et me fouette le visage. La vitesse me grise, j’ai l’impression d’être un dieu, un surhomme, un enfant comme les autres.

Je chevauche inlassablement mon tricycle jaune. Compagnon de fortune comme d’infortune, il est devenu mon seul confident. Lui qui ne dit rien, ne juge pas, ne regarde pas de travers. Lui qui ne fait aucune différence entre un garçonnet de dix ans survolté et un adulte de trente ans dérangé. Lui qui m’offre enfin l’enfance qu’on m’a volée il y a vingt-cinq ans dans un virage d’hiver trop rapide.

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