Al est un petit singe qui n’a rien demandé à personne. Il a été élevé en cage, bien sûr, mais jusque là, il ne trouvait rien à redire à cette situation. Il a de la nourriture à disposition, de quoi grimper (dans tous les sens du terme) et quelques friandises de temps en temps. Il a bien remarqué que quelques anthropoïdes l’observaient depuis plusieurs semaines, venant tous les jours pendant de longs moments devant sa cage. Mais Al s’en moque, de manière générale, tant qu’ils ne l’empêchent pas de vivre sa vie.
Mais depuis quelques jours, Al n’est pas content. Il a toujours de quoi manger et s’amuser, mais il doit maintenant partager son temps avec cette espèce de grande saucisse disgracieuse. Un anthropoïde est venu déjà trois fois dans sa cage et essaie à chaque fois de jouer avec lui, ce qui ne le dérangerait pas s’il était au moins capable de grimper aux arbres et de s’y balancer. Mais avec des bras si courts et ces espèces de pieds difformes, comme des sabots, l’anthropoïde est aussi agile qu’un hippopotame. Alors Al s’en désintéresse.
Mais l’homme s’acharne, et aujourd’hui, il essaie d’attraper Al. Bien sûr, il ruse, mais Al n’est pas dupe, ce n’est tout de même pas au jeune singe qu’on apprend à faire la grimace. Al attend patiemment en haut de son arbre reconstitué que l’homme s’en aille, et puis lui jette des bouts de bois qu’il arrache de la branche où il s’est assis. L’homme finit par partir. Al se souvient du contact de la paume froide de l’homme sur son bras, et réprime un mouvement de colère.
La nuit a passé, Al espère qu’il sera seul aujourd’hui. Mais l’homme revient, avec un deuxième spécimen de leur espèce hideuse. Al part immédiatement se cacher, il n’a plus envie de jouer avec ces êtres répugnants, imberbes mais avec une espèce de croûte rugueuse sur le corps. Son regard est attiré par un objet brillant, en forme de long tube noir. Tout de suite après, il ressent une violente piqûre/brûlure/morsure au niveau du bras. Al voit rouge puis gris, puis noir.
Quand il se réveille il est dans une nouvelle cage, plus petite, sombre et qui empeste l’humain. Il commence à appeler ses congénères, qu’il n’entend plus comme il en a l’habitude. Ses appels se muent en cris de détresse, personne ne lui répond, personne ne vient à lui. Al essaie de frapper de ses petits poings les murs en matière polie et froide de sa prison. Il veut rentrer chez lui. Et puis là, trois hommes, plus impressionnants que les autres entrent dans sa cellule. De vrais gorilles, ceux là. Deux d’entre eux l’attrapent, pendant que le troisième lui prend le bras pour y planter un pic. Al ressent la même douleur que la dernière fois, il hurle sa colère, sa frustration de ne pouvoir bouger, sa douleur, sa peur, son impuissance. Et puis subitement, les hommes disparaissent, le laissant seul avec sa peur et son incompréhension. Enfin, disparaissent, c’est vite dit. En réalité, Al sent qu’ils sont de l’autre côté de la cage, il se sent épié, scruté, mais ne voit pas ses agresseurs. Seulement une espèce de reflet de lui comme il en voit d’habitude en buvant dans des flaques d’eau. Et puis ça continue comme ça pendant des jours, même si au fil du temps Al s’est habitué à la douleur. Cela ne l’empêche évidemment pas de hurler dès qu’il entend les pas des hommes, et d’essayer à chaque fois de frapper ou mordre ses ravisseurs. Et puis, au fur et à mesure, Al ne se sent pas bien. Il a de moins en moins faim, sa peau le gratte, il se sent faible. Il a de moins en moins d’énergie, mais continue de montrer les dents dès qu’il voit un homme, quel qu’il soit. Lorsque Al se met à vomir, il ne comprend pas ce qui se passe, ce qui le met dans une rage folle. Il se jette contre les murs en essayant de fuir cet environnement qui le rend malade, qui le rend fou. A force de frapper, de hurler, Al s’abrutit et finit par sombrer dans le sommeil. Il entend dans le lointain les voix tant détestées qui semblent à la fois se rapprocher et s’éloigner de lui. Il tressaille quand il sent encore une fois l’écharde s’enfoncer dans son bras. Il s’endort plus profondément, pour ne plus se réveiller.