Madame Bonheur est très, très heureuse. Les jours se suivent et chacun apporte son lot de petits bonheurs et de grandes nouvelles. Son sac à soucis s’allège et les envies de sa liste s’accomplissent, lentement mais sûrement. Elle a l’impression qu’il lui suffit de fermer les yeux et de faire un vœu pour que celui-ci trouve le moyen de se réaliser. Ou simplement d’espérer très fort pour que les bonnes nouvelles se fraient un chemin jusqu’à elle et la rendent encore plus heureuse. Cela fait quelques années que cela dure, quelques années que les mauvais jours se font tout petits et qu’une espèce de tapis rouge se déroule sous ses pas. Pas de doute, Madame Bonheur porte bien son nom.
Et puis, un matin, Madame Bonheur se lève et tourne en rond. Elle a déjà tout coché sur sa liste d’envies, elle se sent désœuvrée, ne trouve plus les buts vers lesquels se tendre. Pour combler cette brèche avant qu’elle ne grandisse, elle profite des jours qui s’enchaînent sous le soleil, sirote sa vie en compagnie des gens chers à son cœur, apprécie toutes les victoires, plus rares de jour en jour tant les montagnes s’aplanissent devant elle. Elle liste les tout petits bonheurs pour ne pas oublier de les voir.
Mais parfois, sans pouvoir s’en empêcher, elle se demande si tant de joie ça peut durer. Ces jours-là, son ciel se voile de la crainte de n’avoir pas su profiter pleinement de sa chance. Alors, pour ramener le soleil, elle cesse de réfléchir. Tant qu’il y aura des rires, des danses, des apéros, de la chaleur au creux du ventre et des frissons, tout ira bien. Tout ira bien.