On était partis en randonnée entre amis, une bande de joyeux lurons, pensant que cette semaine de vacances bien méritée nous décrasserait un peu. Et ce fut le cas ! D’abord enthousiastes, marchant ensemble, nous avons vite senti que la montagne allait nous demander tous nos efforts.
Le groupe n’a pas tardé à se scinder en sous-groupes en fonction de notre niveau. Les premiers, rapides et endurants, partaient en éclaireurs tandis que le gros du groupe marchait de manière régulière. Nous étions deux à fermer la marche, peinant lors des montées, des descentes, et essayant de rattraper notre retard sur le plat. Nous avions vite compris que parler cassait notre souffle, alors nous marchions juste en silence.
Un, deux, trois, quatre. Un, deux, trois, quatre. Un, deux, trois, quatre. Le souffle se plaçait peu à peu sur ce rythme, ne laissant pas de place dans ma tête pour penser à autre chose. Surtout ne pas perdre la régularité. Surtout ne pas s’arrêter. Tenter de poursuivre, sans ralentir, sur ce rythme. Rétrécir les foulées mais ne pas s’arrêter. Entendre son souffle rauque, inquiétant, sentir le sang battre à mes tempes, essayer de tenir encore un peu, de suivre les conseils bienveillants m’assurant que ça passerait si je persévérais. Et puis craquer, faire une pause pour reprendre son souffle, et tout recommencer. Se remettre en marche pour ne pas ralentir tout le groupe, qui finirait par m’attendre si j’étais vraiment trop à la traîne. Avoir l’impression d’être un boulet, d’être la seule à ne pas y arriver, croire que pour les autres, c’était plus simple. Juste parce que, seule avec mon effort, j’étais incapable de voir les autres.
Et puis arriver au sommet, s’offrir une pause tous ensemble, et profiter de paysages tellement purs, voir les montagnes immuables qui ne méritent d’être admirées que par quelqu’un qui se serait donné l’effort de monter. Partager l’eau, les fruits secs, quelques paroles, et cette vue qu’on a tendance à croire magique après tous ces efforts…
Se relever, toujours trop tôt, et reprendre la marche. Laisser son corps s’habituer peu à peu à travailler, ne plus penser aux jambes, au dos qui protestent. Se concentrer sur sa respiration, parce qu’au final, c’est la seule chose qui compte. Lorsque enfin le corps demande moins d’attentions, la tête peut se permettre de dériver. Quelques pensées se mettaient alors à vagabonder, réflexions décousues sans fil conducteur. C’est beau ce coin, mais si je m’arrête, je ne vais plus pouvoir repartir. J’espère que le chat ne s’ennuie pas trop sans nous. Je pense que d’ici deux heures on sera au sommet, mais bon sang, qu’est ce qu’il parait loin d’ici. Finalement, la vie, c’est marrant, un peu comme grimper une montagne, faut se concentrer sur nos objectifs pour se motiver. J’espère qu’il nous reste beaucoup de semoule, je meurs de faim. Un, deux, trois, quatre. Je crois que j’ai oublié de respirer quelque temps. J’aimerais bien que ça marche entre ma sœur et son nouveau copain, faudra que je l’appelle en rentrant. P***** de saletés de mouches, moustiques et insectes en tous genres, je ne suis pas une vache, alors foutez moi la paix ! Je voudrais bien boire, mais j’ai la flemme de m’arrêter pour prendre ma bouteille, faut que je rattrape le groupe pour chopper celle d’un autre… Ah, ils se sont arrêtés, bientôt la pause, j’espère qu’on ne partira pas de suite.
Arriver de nouveau au sommet, un peu plus haut que le précédent, et se rendre compte, que finalement, on l’a fait. Se sentir fiers de ça, mais terriblement humbles devant cette beauté qui s’offre à nous.