Le nez dans ta fourrure, les doigts sur ton corps tout chaud, le bras soutenant le poids de ta minuscule tête, comment écrire ? Sept mois que chacune de tes respirations est un miracle. Je suis pendue à ton souffle, nuit après nuit. Angoisse et émerveillement se succèdent et se mêlent. Combien de temps encore ? Mes doigts rouillent de ne plus taper sur le clavier. Et si je perdais les mots ? Le cerveau boucle et chauffe jusqu’à se mettre en pause. Quelle heure le prochain comprimé ? Ta douleur est-elle supportable ou as-tu besoin de mon aide ? Vas-tu vouloir manger aujourd’hui ? Si non, où trouver de la nourriture qui voudra bien passer ? Comment récupérer les anti-douleurs, les anti-vomitifs, les anti-inflammatoires qui me manquent avant le week-end ? Opération ou pas ? À quand la prochaine prise de sang ? Pourquoi tu manges ta litière ? Selles normales aujourd’hui ? C’est quoi ce bruit de cafetière quand tu respires ? Et quand tu sors ta mignonne petite langue, signe de détente ou d’inconfort ? Tes somnolences sans sommeil, effets secondaires du traitement ou maladie qui s’aggrave ? Quand est-ce qu’on arrête ? Est-ce que tu vas guérir ? Je replonge le nez dans ton cou, tu cales ton museau sous mon menton, mes bras t’entourent sans t’écraser, cocon de chair, de chaleur et d’amour. Je te rassure et tu t’apaises. Ne pas bouger, surtout ne pas bouger. L’angoisse reflue et reste tapie cachée dans le sternum. Mes larmes rejoignent mes sourires. Tu vis tout contre moi et c’est merveilleux. Je n’aurai jamais assez de toi, ne serai jamais jamais jamais prête à te voir partir. Aujourd’hui tu es là, je passe des heures à te respirer, te servir d’oreiller, de forteresse, de radiateur. À quoi bon écrire?
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En deuils
Le deuil de toi, de ta présence, de tes sourires, du refuge de tes bras câlins, de ton corps, de tes caresses, de tes baisers, de tes yeux amoureux, de tes mimiques, de ton calme communicatif, et tant encore.
Le deuil de notre vie commune, entremêlement intime de nos deux vies.
Le deuil de nos projets.
Le deuil de la légèreté, de l’insouciance.
Le deuil de celle que j’étais.
Le deuil de mes capacités cognitives, de ma mémoire extraordinaire, de ma résistance au stress, de ma résilience.
Le deuil de mon métier-passion, pour lequel j’étais si douée.
Le deuil des relations sociales qui se sont fanées faute d’attentions ou qui ont été écrasées par ma gravité.
Le deuil de mes vacances, de mes étés chantants et dansants.
Le deuil de nos anniversaires, bulles de bonheur anticipé dans le calendrier.
Le deuil de la joie de l’Avent, de la chaleur des fêtes de fin d’année.
Le deuil du jardin qui ne sera jamais aussi beau que lorsque tu t’en occupais.
Le deuil du sentiment d’invincibilité, de ma foi sans faille en la vie, en l’avenir.
Le deuil de cette confiance inébranlable en moi.
Le deuil d’un monde sensé.
Le deuil de l’illusion de sécurité.
Le deuil de cette vie alternative, que je ne connaîtrai jamais mais que j’imagine souvent.
Le deuil de tout ce que je voulais vivre avec toi. Nos hauts, nos bas, la tendresse, l’amour. Et vieillir ensemble.
Brèves d’attachement
Ma tata la Castafiore ment énormément pour attirer l’attention. Elle a même tatoué une chemise sur sa perruche avant de la lâcher dans la cheminée.
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Le bâtisseur bêta se tape un taboulé à la tapenade. Le mentaliste allemand lèche une ganache au chocolat. Atchoum !
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Attention, mon amante aux yeux d’amande, ta chemise se déchire, ta chair tatouée ne manque pas d’attrait pour le bêta tatillon qui chemine à tâtons sur la péniche.
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Une tarte Tatin attaque un tamanoir à Seattle. Un tapir attrape la Tatin taquine et la bat sur le tarmac.
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Matthias a menti posément à sa maman. Il dément gravement. Elle l’attache et le chatouille aux chevilles. Quelle bataille atypique !
Jim
Oh non, pas la voiture, encore… Je commence par quoi, déjà ? On est… jeudi ? La navette à l’aéroport, encore, pfffff… Et vas-y que ça va s’enchaîner, et les valises à porter, et les clients en jet-lag qui décrochent pas un mot…. Tiens, j’ai mal au dos, mais en bas, aux lombaires, pas à la nuque comme d’habitude. Si ça passe pas d’ici ce soir, faut que je demande à Annie de prendre rendez-vous chez le kiné, je peux pas laisser ça traîner. Il me reste combien de temps encore ? Mettons que je parte à soixante-cinq, en vendant la licence cent cinquante mille, je peux avoir un truc correct pendant quinze ans. Si je fais de vieux os, je finirai pauvre. Bah, quatre vingts ans, c’est loin… J’ai cinquante sept, ah non, cinquante huit, c’est vrai. J’oubliais. Jusqu’à soixante cinq, il me reste sept ans. Ça vaut plus vraiment le coup d’investir dans les voitures autonomes. Z’auraient pu sortir ça plus tôt. C’est les autres qui vont en profiter, pour ma pomme c’est trop tard. Qu’est-ce qui t’a pris aussi d’accepter la licence de Papa ? T’as jamais aimé conduire, et parce que le vieux t’a fait promettre sur son lit de mort, tu laisses tomber l’écriture et tu sillonnes la ville pour ceux qui se paient le luxe de ne pas avoir de voiture. T’as renoncé bien facilement, non ? Un bon prétexte, hein, la promesse au paternel ? Tu voulais quoi ? Que je lui dise que je voulais pas de son héritage, qu’il avait trimé comme un chien toute sa vie pour avoir quelque chose à me transmettre, pas comme ses parents à lui, et moi j’allais juste lui cracher à la gueule que je déteste conduire et qu’il avait fait tout ça pour rien ? Non, moi je dis juste que tu pouvais faire les deux. Conduire et écrire. Surtout qu’avec ce qu’on voit et ce qu’on entend dans un taxi, y a matière à faire de beaux romans. Ça va, ça va, on arrête là, avec les pensées négatives. Comment elle dit, Annie, déjà ? Sois bienveillant avec toi-même. Parle toi comme tu parlerais à un ami. Et à un ami, on lui balance pas comme ça qu’il a pas le courage de ses ambitions. À un ami, on lui dit qu’il aura bientôt le temps, d’ici sept ans par exemple, de ressortir ses stylos pour s’évader un peu. On lui dit qu’il peut être fier de lui, l’ami, d’avoir tenu la promesse faite au père, parce que ça a pas toujours été facile avec le vieux. Deux bonhommes qui savent pas se dire qu’ils s’aiment. Le taxi, c’est ça. C’est le Je t’aime du père. Alors on accepte l’amour et on l’intègre à sa vie. C’est vrai Papa, j’ai pas toujours été un bon fils. J’ai pas fait comme tu voulais, moi. T’as jamais eu de petits-enfants et tu l’as pris comme un rejet. Comme si je voulais pas devenir toi. Mais j’t’aimais, Papa. C’est vrai que je l’aimais, le père. Une admiration de gamin pour ce grand taiseux. Tellement d’admiration que je voulais pas me mesurer à lui. Mais quand il est mort, il fallait bien que quelqu’un le poursuive, il pouvait pas s’arrêter comme ça, non ? Et puis, on a beau dire, ça paie bien, taxi. Bon, c’est pas tout, ça, faut y aller. Aïe. Mon dos.
Le fil d’Ariane
Assise seule en pleine nuit en haut des escaliers, je compose des numéros de téléphone pour m’extraire du cauchemar dans lequel je bascule. À chaque sonnerie sans réponse, je chute un peu plus, comme une branche qui se déroberait sous ma main en quête d’appui.
À 5h du matin, la famille, les amis dorment et ce téléphone inutile me rappelle la vie de solitude qui m’attend désormais. Un gouffre qui me terrorise, même si je ne peux pas encore l’appréhender.
Le répertoire défile, les tonalités s’enchaînent et je ne sais pas vers qui me tourner. Le médecin revient me dire qu’il me faut du soutien, que je ne peux rester seule. J’approuve mais je suis incapable de parler aux répondeurs qui ne savent pas, qui ne peuvent rien pour moi.
Je me rappelle que tu n’éteins jamais ton téléphone la nuit depuis le décès de ta grand-mère. Tu es presque la dernière personne que je pensais appeler. C’est un sale coup à te faire, t’appeler à la rescousse après t’avoir éloigné brutalement.
Avant que la solitude ne m’engloutisse totalement, quand il n’y a de toute façon ni espoir ni sens à cette vie absurde, je compose ton numéro.
Quatre sonneries. Je veux raccrocher mais je résiste. J’ai besoin de toi.
Tu décroches. Tu tends ta voix ensommeillée vers moi, et tu t’arqueboutes tout entier pour tenter de freiner ma chute.