Au poil

Un peu honteux, je pousse la porte de ce salon particulier et demande à avoir un rendez vous avec une esthéticienne. C’est la première fois que je viens, je ne connais l’établissement que de nom et j’espère qu’ils sauront mériter leur réputation de discrétion. Que mes proches ne puissent jamais savoir par où je passe pour être tel que je suis.

Quelques heures plus tard, je me rajuste dans le miroir avant de repartir. J’ouvre les premiers boutons de ma chemise, laisse fièrement dépasser quelques poils chèrement acquis. Je lisse cette barbe nouvelle qui ne manquera pas de plaire aux minettes avides de testostérone. “Au poil”, décidément, porte bien son nom…

Des ravages du VIH sur les populations de vampires

Le VIH, comme vous le savez tous, est un virus qui se transmet principalement par le sang et le sperme. Certaines populations sont plus touchées que d’autres, que ce soit à cause de pratiques dangereuses (échanges de seringues) ou de par leurs conditions de vie (pas d’accès effectif aux préservatifs notamment). Cette étude s’attache à lever le voile sur une population particulièrement touchée par ce virus, à cause de son régime alimentaire.

Comme vous le savez, les vampires ont besoin de boire du sang pour avoir un certain niveau de forme physique. Bien sûr, le vampire ne meurt pas s’il ne trouve pas sa dose de sang, mais il s’affaiblit, hiberne en quelque sorte. Le problème, avec le VIH, c’est qu’un vampire a un risque accru d’être contaminé. Et de propager l’épidémie, par ses morsures. Ainsi, un vampire séropositif, lorsqu’il décide de mordre un humain pour le recruter, le contaminera par la même occasion. Et de cou en cou, la proportion de séropositifs augmente de manière exponentielle dans cette population dite “à risque”. Lorsque la maladie se déclare, cela se traduit par un affaiblissement considérable, une perte de poids, l’apparition de tout un tas de maladies qui d’habitude ne touchent pas les vampires et surtout par la perte de leur pouvoir de séduction sur les humains. Cela les empêche alors de pouvoir se nourrir simplement, les obligeant à chasser de manière très peu subtile et surtout très fatigante. Même si le vampire ne mourra pas du SIDA, il passera le reste de son éternité à ressembler à un zombie, ce qui, pour cette population qui se targue d’élégance, est presque pire que la mort.

Nous allons maintenant aborder le point de la prévention, qui est donc primordiale, car un vampire séropositif le restera pour l’éternité. Il est important de noter qu’il existe très peu de transmission du virus de vampire à vampire, la contamination se faisant principalement d’humain à vampire et de vampire à humain recruté. Néanmoins, il va être important dans un premier temps de dépister chaque vampire, afin de pouvoir adapter les comportements de chaque groupe de vampires. Les séropositifs pourront ne pas changer leurs habitudes, puisque le mal est fait, mais ils ne devront en aucun cas recruter de nouveaux vampires. Quant aux séronégatifs, ils vont devoir chambouler leurs coutumes, et commencer par arrêter de sucer le sang de proies vivantes pour se nourrir. Comme il est impossible de savoir de manière certaine que la personne ne sera pas infectée, le meilleur moyen de se préserver est l’abstinence. Les chercheurs travaillent en ce moment même à l’élaboration de dérivés sanguins pour rendre possible une alimentation saine répondant à tous les besoins des vampires. Nous préconisons donc à tous les vampires séronégatifs de se mettre en dormance en attendant de pouvoir à nouveau se sustenter sans risque.

En espérant que cette étude vous a été utile, nous restons à votre disposition pour tout renseignement à l’adresse indiquée en bas de la page.

Délit de faciès

Aujourd’hui, tu n’es plus. On t’a pris pour une autre, tu lui ressemblais, certes, mais tu n’étais pas elle. Bien sûr, tu volais et ça n’a pas joué en ta faveur. Bien sûr, de loin, ils n’ont pas cherché à savoir et n’ont pris aucun risque, au cas où tu sois réellement elle. Avide de sang comme elle l’est, il faut bien avouer qu’ils ont pris peur et ne pouvaient prendre le risque de te laisser faire.

Et pourtant… Pourtant tu es la plus inoffensive petite mouche que je connaisse, voletant de-ci de-là au gré des vents, sans même faire le bruit tant irritant qui aurait pu te confondre avec elle. Mais toujours ils diront qu’ils ne savaient pas et que ce n’est pas si grave. À part moi, qui pleurera la fin d’un moucheron battu à mort avec désinvolture et suffisance?

Vendre son âme

Cela fait des mois que Marie se prépare. Quand elle a lu l’annonce, elle s’est dit “après tout, pourquoi pas?”. À quelques détails près, elle remplissait toutes les conditions. Et pour ce qui lui manquait, il lui suffisait d’être patiente. Ainsi, Marie décida de devenir un modèle de vertu. Heureusement pour elle, elle n’était pas encore compromise, et la liste des pêchés à effacer était relativement courte : quelques mensonges pour préserver un peu son intimité, le vol d’une pomme pour nourrir son petit frère, et c’est tout. Elle commença donc par travailler pour rembourser ladite pomme au vendeur. Pour les mensonges, elle décida de n’en plus dire, mais pensa que rectifier le tir maintenant était trop tard. Elle se dit qu’avec une période suffisamment longue de pénitence, elle compenserait.

Après quelques mois de cette vie exemplaire, elle se sentait prête. Elle pouvait citer de mémoire une bonne cinquantaine de bonnes actions accomplies pendant ce laps de temps et n’avait cédé à aucune tentation. Dans sa tête, elle imaginait quelques questions qu’on lui poserait et les réponses qu’elle ferait. C’était vraiment le bon moment.

Alors, après avoir vérifié l’adresse une dernière fois, elle rajuste le col de sa robe, prend une grande inspiration et pousse la porte de l’office. Elle se dirige vers l’accueil et se présente. On lui dit de patienter, que quelqu’un va la recevoir. Quelques minutes plus tard, un adolescent au look androgyne lui demande de l’accompagner, ce qu’elle fait. Il lui pose quelques questions sur sa vie et les motivations qui la poussent à faire ce qu’elle s’apprête à faire. Bien préparée, elle répond simplement que cet échange devrait assurer assez d’argent à sa famille pour que les siens ne manquent de rien sur plusieurs générations, et que cela valait bien son sacrifice. Devant l’air gêné de celui qu’elle identifie comme un DRH, elle ajouta rapidement qu’elle ne considérait pas cela comme un vrai sacrifice, mais comme un moyen de s’épanouir, de se sentir utile. Elle sent qu’elle s’empêtre et finit par se taire, le rouge aux joues.

L’employé la rassure en lui disant qu’elle est la seule à avoir répondu à l’offre et qu’en plus du deal annoncé, il se pourrait qu’il ait un bonus pour elle, si elle est intéressée, évidemment. Reprenant contenance, Marie cherche à savoir si son interlocuteur l’embobine ou pas. Elle lui rappelle donc les termes de l’annonce et attend confirmation. Un ange passe et dépose sur le bureau un contrat que Marie lit. Elle écarquille les yeux en lisant à combien se chiffre la vente de son âme. Elle ne pensait pas être à ce point vertueuse. Son âme va se monnayer très cher, et il n’y a pas à dire, ils ne sont pas radins là-haut. Son engagement à elle n’est pas trop prenant non plus : continuer sur sa voie pieuse et devenir une sorte d’idole. Pas si dur que ça finalement. Marie sourit en pensant à ce que ça peut impliquer. En regardant les annexes, elle comprend que le bonus n’est pas mauvais non plus : on lui fournit un enfant, qui sera lui aussi adulé, assurant la renommée de sa famille à travers les siècles, et un mari, pour garantir sa réputation. Marie cherche un crayon dans son sac et signe aussitôt.

Un élevage particulier

Gudule pousse la porte de l’échoppe. Le commerçant est réputé pour produire de bons élevages, et Gudule a besoin de spécimens hors norme. Son porte monnaie n’est pas bien lourd, mais elle a mis une bonne partie de ses économies pour avoir elle aussi son début d’élevage. Contre les trois quarts de sa monnaie, elle négocie l’achat de dix couples dressés pour revenir à leur cage tous les matins. Avec un peu de patience en prime, elle devrait, d’ici quelques semaines, avoir de quoi mener à bien son projet.

Car Gudule n’est pas une adolescente comme les autres. Quand les jeunes de son âge sont assoiffés de sang, indomptables et impliqués dans moult faits divers, Gudule est profondément dégoûtée par les moyens de survie limités à disposition de son espèce. Chasser, mordre ou sucer le sang de proies vivantes et conscientes pour garder sa vigueur et son énergie lui donne des hauts le coeur. À partir du moment où ses parents ont arrêté de lui préparer des poches toutes faites et qu’elle a dû voler de ses propres ailes, elle a d’abord voulu se laisser dépérir. Puis elle est allée chercher des informations sur les méthodes alternatives. Et elle est tombée sur un site épatant.

Elle a ainsi appris que les vampires n’avaient finalement besoin que de très faibles quantités de sang pour subvenir à leurs besoins. Un vampire étant quasiment immortel, le sang ingéré n’est utilisé que pour remettre à niveau sa vitalité. Donc en sous régime, un vampire peut presque hiberner. Ce qu’elle a commencé par faire. Puis elle s’est rendu compte qu’elle ratait une bonne partie de sa vie à dormir comme ça, et qu’elle pourrait au contraire faire un tas de choses intéressantes. L’apprentissage des métamorphoses et du vol de nuit par exemple la ravissaient littéralement. C’est alors qu’elle a projeté d’élever des moustiques.

Ceux-ci, dressés spécialement par Maître Kriek, piquent les humains pendant leur sommeil. Rien de traumatisant pour eux, qui y sont habitués dès leur plus jeune âge. Ensuite, ils sont éduqués pour suivre une piste olfactive qui les ramène dans la maison de leur propriétaire. À chaque couple son odeur, qui reste efficace pour tous leurs descendants. Une fois le couple acquis, la première chose à faire est de les faire se reproduire. Pour cela, tout le sang amassé est laissé à la femelle, qui pond ses oeufs. Une fois que les petits savent piquer et retrouver leur chemin, un choix s’opère. Un nombre de couples importants est gardé pour maintenir une reproduction. Le reste des moustiques, lorsque la surpopulation commence à se faire sentir, est centrifugé afin de fournir un verre de sang frais tous les matins à leur bienheureux détenteur. Ainsi, la population de moustiques reste régulée, Gudule garde une alimentation saine, et les horreurs de la chasse ne viennent plus perturber son sommeil.