Le film de la veille

Quentin arrive à l’école de bonne humeur, mais très vite, il se sent mis à l’écart de sa classe. Tout le monde parle sans l’écouter de ce qu’ils ont fait hier, comme tous les matins en arrivant. Et tous les matins, Quentin se sent seul.

Il voudrait leur dire qu’il a vu un film super au cinéma, qu’avec sa famille il teste tous les mois un nouveau jeu de société, qu’il va au cirque à chaque fois qu’il passe en ville et qu’il visite souvent des expositions, des musées ou des zoos. Il est plutôt content de sa vie, il s’amuse bien et l’ambiance est souvent chaleureuse à la maison. Mais personne ne l’écoute.

Aujourd’hui, toutes les discussions tournent autour de « Quatre mariages et un enterrement », le film qui passait à la télé hier soir. Et les parents de Quentin n’ont pas la télé. Et surtout, les amis de Quentin n’ont pas envie de parler de ce qu’il fait lui, parce qu’eux ne font pas des choses aussi géniales. Il a beau se dire que c’est uniquement par jalousie qu’il est mis de côté comme ça, aujourd’hui, comme tous les matins, Quentin en veut à ses parents de ne pas être comme tout le monde. Non pas qu’il ait vraiment envie de télé. Quand il va chez des amis, il regarde quelques émissions, surtout des jeux télévisés ou des dessins animés, il trouve ça drôle sur le moment, mais à la maison il préfère jouer à cache-cache, faire de la peinture ou du patin à roulettes. Seulement, il voudrait participer aux conversations le matin. Au lieu de quoi il joue à la corde à sauter ou à la marelle, seul en attendant que les autres aient fini de parler et sortent le ballon de foot.

Prête-moi ta plume

S’il te plaît, prête moi ta plume...

Je ne sais pas d’où vient cette voix, j’ai l’impression de l’entendre directement dans mon cerveau, et j’essaie de répondre par le même canal.

De quoi parles-tu?

Silence. Je crois déjà avoir rêvé. Puis…

S’il te plaît, prête moi ta plume…

Je relève la tête et aperçoit, près de mon oreiller, une plume blanche et un tout petit homme, qui essaie visiblement de l’emmener avec lui. Je me relève complètement et cligne plusieurs fois des yeux. Non, je ne rêve pas.

Qui es-tu?

Je m’appelle Billy

Je rapproche mon visage de ce tout petit bonhomme, pas plus grand que mon pouce. Je souffle un peu trop fort et la plume s’envole, Billy -puisque c’est son nom- s’accroche au bord de l’oreiller.

Pardon, je ne voulais pas te faire de mal…

C’est marrant ce mode de communication, je n’ai besoin que de penser mes phrases, et j’ai l’impression que Billy me comprend. Je me relève pour ne pas lui souffler encore dessus, et ramasse la plume. Je la lui tends, la pose délicatement sur ses avants-bras qu’il a tendus à cet effet.

Merci.

De rien, mais pourquoi as-tu besoin de cette plume?

D’un saut périlleux arrière, Billy saute du lit et disparaît de mon champ de vision. De frustration, je crie et essaie de le rappeler.

Mais enfin, reviens, parlons un peu, où vis-tu?

J’attends plusieurs minutes, qui me semblent des heures, mais pas de réponse. Puis j’entends, comme de très très loin, une seule phrase :

Un jour, je reviendrai.

Elle est où la poulette?

Foxy est arrivé, après avoir suivi la piste olfactive pendant quarante minutes, à la ferme. Il sent que de bonnes choses sont là pour lui, et ne sent pas d’odeur de chien. D’homme, oui, de chien, non. Mais Foxy n’a pas peur des hommes. Il est tellement excité par l’odeur de la volaille et du bétail qu’il a du mal à se concentrer et ne pas se précipiter tête baissée vers son garde-manger. Pour se remettre de ses émotions et échafauder un plan, il se couche sur l’herbe humide. Bon, il est bien arrivé à la ferme, mais il doit encore décider de deux choses : « Que va-t’il manger ? » et « Où trouver cette nourriture exactement ? ». Foxy se souvient du goût des lapins, des poules, et même d’un chevreau. Mais les chèvres sont trop grosses pour lui seul, et les lapins, ma foi, il peut en trouver ailleurs qu’à la ferme. Non, ce qui l’attire vraiment dans les fermes, ce sont les poules, qui courent partout quand on les chasse, qui sont absolument délicieuses et qui font des œufs pour se régaler si on n’arrive pas à les attraper.

Et donc, la deuxième question s’insinue dans son esprit, enfin, surtout dans son corps… « Elle est où la poulette ? » Il sent bien que cette ferme contient des poules, mais où sont les poules ? Alors, la truffe au sol, il cherche, il cherche, avec une seule pensée en tête : elle est où la poulette, elle est où la poulette ? Et lorsqu’il trouve enfin le poulailler, il ne se sent plus de joie. Par un trou sous le grillage (probablement creusé par un autre renard) il se glisse dans le lieu du crime, et c’est aussitôt la folie. Ca caquète à n’en plus finir, ça court dans tous les sens, il sent la folie meurtrière le gagner et alors rien n’a plus de sens pour lui que de chopper une poule, la tuer, lécher son sang et faire voler des plumes de partout. Très rigolo, les plumes qui volent au milieu de ce carnage.

Lorsque Foxy reprend un peu ses esprits, il est presque trop tard. Il sent l’homme qui arrive, accompagné d’un chien qu’il n’avait pas senti jusque là. Il se précipite à nouveau sous le grillage, le ventre pas si plein mais le museau plein de bon sang frais. Et lorsqu’il sent qu’il arrive à s’échapper, il court comme un dératé, vers de nouvelles aventures.

Marionnette de malheur

Pour son anniversaire, Timothée a eu de très jolis cadeaux, il en a eu tellement qu’il ne se souvient pas toujours de qui les lui a offerts. Le soir venant, il se décide à tous les ramener dans sa chambre, un par un pour être sûr de les avoir tous déballés. Après le camion de pompier, les légos, et la chèvre en peluche, une marionnette attire son regard. Il ne se souvient pas d’avoir ouvert le paquet, mais pourtant elle est encore à moitié dans un papier cadeau. Il n’a pas dû la remarquer tout à l’heure. Il est fasciné par cette marionnette, lui qui a toujours voulu s’initier à l’art ventriloque. Il se dit que le cadeau est drôlement bien choisi, surtout que la marionnette lui ressemble un peu. Il plonge sa petite main dans le cou et trouve les mécanismes actionnant les mouvements de la bouche et des sourcils. Il s’amuse un peu : là, il est étonné, là, il est en colère, là, il rit. Timothée cherche un nom à sa marionnette avant de l’emmener dans sa chambre : il s’appellera Titsou et dormira sur un fauteuil près de son lit.

Le petit Timothée range alors le reste de ses jouets et retourne ravi dans sa chambre. Il s’amuse à faire parler Titsou jusqu’à ce que sa mère lui demande de venir à table. Il a alors une idée : il se glisse jusque dans la cuisine, se cache derrière Titsou et attrape sa mère avec les mains froides de la marionnette. Sa mère lâche les couverts qu’elle tenait à la main. Elle veut gronder Timothée mais se retrouve face à Titsou. Timothée est assis sagement à table et attend devant son assiette. La mère de Timothée éclate alors de rire et dit au père du petit que ce n’est pas drôle de lui faire des peurs pareilles.

Titsou a gagné le droit de s’installer à table avec eux pour le repas. A la fin de la soupe, un énorme rot se fait entendre. La mère, interloquée, relève la tête pour savoir d’où vient ce bruit. Timothée et son père gardent leur sérieux et désignent Titsou. A la fin du repas, tout le monde est de bonne humeur, et Timothée part se coucher, avec Titsou. Après une courte nuit pleine de rêves un peu fou-fous, Timothée se lève et va à l’école. Quand il revient, ce n’est évidemment pas lui qui chatouille sa petite sœur, qui mélange les paires de chaussettes et fait des nœuds aux lacets de chaussures. Ce n’est pas non plus lui qui cache toutes les fourchettes dans le jardin, mange une tablette de chocolat et lance une bombe à eau sur le voisin. Et lorsque son papa vient le voir pour savoir qui a mis le hamster dans l’aquarium et le poisson dans le lavabo, Timothée lui dit que ce n’est toujours pas lui. Décidément, ce Titsou, quel farceur ! Timothée sent qu’il va bien s’amuser avec lui…

La fin des haricots

Il est 19h13 et dans quelques minutes, tout sera fini. Armée de sa fourchette, la petite Lisa pioche régulièrement dans son assiette. Elle mange un haricot après l’autre, mécaniquement, sous l’œil sévère de sa tata. Elle n’aime pas les haricots. Mais elle sait qu’elle n’y échappera pas, pas sous l’oeil attentif de sa tata Yolande. Depuis qu’elle l’a surnommée tata Yoyo devant ses copines pour rigoler, sa tata est devenue plus stricte avec la pauvre petite Lisa.

Une lueur malicieuse passe sur la frimousse de Lisa. Elle va essayer de ne pas tout finir, mais ça va être un véritable challenge. Elle ne peut pas faire semblant d’être malade, elle n’a pas de chien, et le chat n’est pas fou, il sait bien que les haricots c’est bien moins bon que les boites de thon…

En faisant semblant de s’étirer, elle ramène un pli de son T-shirt près de la table, et continue de manger, un haricot après l’autre. Elle profite du fait que sa tata regarde la fenêtre pour faire semblant d’éternuer. D’un grand mouvement de tête, elle plonge vers l’assiette, avec ses mains près de sa bouche. Elle attrape deux haricots au passage,et les glisse dans le pli de son T-shirt en s’essuyant les mains. Elle se fait gronder parce qu’elle n’est vraiment pas une petite fille propre et qu’elle ne sait pas se tenir, mais ces deux haricots, elle en est sûre, elle ne les mangera pas !

C’était presque trop facile. Elle pousse un peu plus loin le défi et mange avec entrain, en félicitant sa tata sur ses talents de cuisinière. Elle lui dit que c’est vraiment meilleur que les haricots que sa maman lui prépare. Sa tata semble flattée, alors Lisa continue. “C’est vraiment dommage que tu ne puisses pas en avoir alors que c’est toi qui les as faits!”. Yolande lui répond qu’elle connait très bien le goût des haricots et qu’elle ne voudrait pas priver une si charmante petite fille de son diner. Raté. Ce n’était pas très subtil.

Lisa continue de manger un à un ses haricots. Il ne lui en reste plus que quatre. Discrètement, elle en coupe un en petits morceaux, qu’elle dissémine sur toute la surface de l’assiette. Elle met les trois autres dans sa bouche, les mache mais ne déglutit pas, enfin, pas pour de vrai. Elle montre son assiette (presque) vide à sa surveillante qui la met dans l’évier pour la vaisselle. Lisa jubile. Elle va attendre environ cinq minutes avant d’aller recracher les trois haricots qu’elle a caché dans sa bouche. Elle est fière d’avoir trompé la vigilence de sa tata et d’avoir esquivé ces six haricots.

Mais la prochaine fois, c’est sûr, elle fera mieux.