Double Je

Elle aimerait… Se dédoubler. Ne plus se partager, s’écarteler, se déchirer. Être tout à fait deux. Double “Je” à part entière, chacun intègre, chacun vivant à cent pour cent. Chacun exactement à la bonne place, au bon moment.

Elle oublierait… La culpabilité. L’impression constante d’être déloyale. Tantôt à l’un, tantôt à l’autre. Souvent aux deux. Et puis à elle aussi. Qui blesse son monde à coups de pavés de bonnes intentions. Qui garde en tête les limites infranchissables, imprimées en filigrane sur ses rétines. Qui a trop peur de piétiner sur son passage ceux qui ne peuvent lui refuser grand chose. Qui a parfois du mal à profiter, toute attendue qu’elle est, d’un côté comme de l’autre. Mais on n’a pas le droit de gaspiller son bonheur. Et du bonheur, elle en a à revendre. Alors que d’autres meurent de tristesse, de solitude, d’ennui. Oui mais voilà… Chaque bribe de joie a un goût d’instants volés, chaque sourire la réchauffe et la glace de l’intérieur, chaque jour qui passe se joue la stéréo, c’est le bordel dans son cerveau. Est-ce qu’un cœur peut éclater de trop d’amour ?

Elle revivrait… La moindre ligne de son histoire. Pour rien au monde elle n’en dévierait. Tiens bon la barre et le vent, le pire reste à venir. Mais, alors que montent déjà les larmes et les détresses, une certitude s’impose. Au bout du compte, il n’y aura pas de regret. Tout ce qui a été vécu en valait le coup. Ce qui ne l’a pas été a protégé des trésors inestimables. Les autres possibles se sont barricadés derrière les “si”, remparts ardents pour doux rêveurs. Resteront les souvenirs blottis au fond du cœur, autant de briques qui déjà construisent ses avenirs.

Le temps des pépins

Il n’est pas encore l’heure de se résigner. Je n’ai pas l’âge, pas le temps pour ça. Très peu pour moi d’arriver à la retraite aux côtés de la mauvaise personne. Très peu pour moi l’absence de rêves, les perspectives évaporées, les projets rapetissés. Ça ne peut durer qu’un temps, la vie étriquée qui serre aux manches et gratte le cou. Quand ils se réveillent au bout de trente ans dans une vie glauque et médiocre, se rendent-ils compte que c’est à coup de « pas si pire » ou « pas le bon moment » qu’ils ont enterré leur vie rêvée pour sombrer dans un cauchemar aux allures de confort-sécurité-rentes à payer ?

Je ne foncerai pas non plus droit dans le mur de l’acharnement, certaines réalités finissent bien par s’imposer. Mais quand c’est bouché dans un sens, à nous de réinventer nos futurs au lieu d’accepter l’engourdissement, la gangrène, les amputations des moyens, des envies, de l’âme.

Hé, L’Oiseau ! Ils sont bien jolis tes mots, mais ça ne fait pas avancer ta rédaction, tes projets, tes moyens, justement…

Emergency exit

L’avion n’est pas tombé. Aucune catastrophe à déplorer, ce n’est pas encore cette fois que je me servirai des masques à oxygène ou du gilet de sauvetage. En même temps, le gilet de sauvetage -dont la loupiote s’allume automatiquement au contact de l’eau- a une utilité toute relative lorsqu’on survole les Alpes.

L’avion n’est pas tombé, il s’est posé tout en douceur -enfin, ça aussi c’est relatif, on sent quand même bien la bitume sous les roues de l’engin quand elles touchent le sol- et on a même applaudi le pilote -qu’était vachement sympa et nous a prévenu que le Mont-Blanc était sur notre droite au moment où c’était le cas. Enfin, pas moi, évidemment. Je ne prends pas l’avion pour applaudir le mec dont le métier est de nous mener à bon port -si possible- en un morceau. Ou alors, je passerai mon temps à applaudir. Par exemple quand le bus ne me renverse pas alors que je traverse juste devant lui pour l’obliger à s’arrêter. Ou quand le cuistot tue bien toutes les salmonelles en cuisant sa viande correctement et en respectant la chaîne du froid.

Tout ça pour dire que l’avion ne s’est pas écrasé. Il n’a même pas traversé une petite zone de turbulences. Tout s’est déroulé sans accroc. Mieux que ça, d’ailleurs. Ce vol était tout simplement idéal. Paysages superbes, vol au dessus des nuages avec option soleil rasant pour une lumière exceptionnelle. L’hôtesse s’est même excusée de nos dix minutes d’avance à l’arrivée. Et tout le monde a rigolé. Un vol parfait, je vous dis.

Vous l’aurez compris, l’avion n’est pas tombé. Je ne suis pas morte, dans le coma ou tétraplégique. Je ne suis pas traumatisée, mon monde ne s’est pas effondré à cause de vraiment pas de chance. Je n’ai même pas le bras cassé, la cheville foulée. Je peux remballer mon “débrouillez-vous sans moi” et gentiment réintégrer ma vie. En tirant un peu sur les côtés, ça devrait passer tout seul. Et vous savez, c’est du cuir, ça se détend toujours, à la longue, et ça finit par s’adapter.

L’avion n’est pas tombé. Pas d’excuse pour sécher. Pas de pause forcée. Pas de regrets éternels. Ou temporaires, d’ailleurs, j’suis pas très à cheval sur les principes. Pas de souvenirs qui défilent à toute vitesse, pas de lumière blanche au bout du tunnel, pas de grande illumination mystique. Seulement des manches à retrousser, une thèse à rédiger, des décisions à assumer, une histoire à avancer. Une vie à vivre, bordel. Et plus d’avion à faire tomber pour tenter de m’échapper.

Le sens de la vie

La question a surgi au milieu de rien, d’un magma de souvenirs et d’images évanescentes, mots effacés avant même d’avoir été pensés. Et si sa vie allait à l’envers ?

Tout autour d’elle, l’enfance est érigée en paradis perdu, la jeunesse vantée pour toutes ses jouissances et la suite ne serait alors qu’une longue décrépitude. Elle-même ne se sent jamais aussi bien qu’à l’instant T. Chaque époque a été meilleure que la précédente et presque certainement un peu moins bonne que la suivante. Chaque page qui se tourne l’emmène vers un nouveau chapitre dont elle attend avec impatience les rebondissements.

Bien sûr elle ressent parfois quelque nostalgie en évoquant certains bons temps, il est vrai révolus. Mais faut-il pour cela les appeler LE bon temps ? Pour sûr pour elle LE bon temps c’est maintenant. Peut être demain mais pas hier. D’hier restent des souvenirs qui l’accompagnent, l’orientent, lui réchauffent le cœur. Mais ne la retiennent pas.

Et elle poursuit ainsi sa route vaillamment.

Regards

J’aime ce mélange de couleurs. J’aime les gens qui osent être ce qu’ils veulent. Qui se baladent en boubou ou en jean-baskets, en pyjama ou en paillettes, en jogging ou en tailleur. Qui sortent du moule ou créent le leur. J’aime les mille langues et les mille sourires des gens pour qui la vie en communauté signifie tant. J’aime tous ces individus qui tacitement suivent les mêmes règles, partagent les mêmes codes au quotidien. Vivent une même vie mais la colorent différemment.

Après tout, je crois que, finalement, je l’aime un peu, Paris.