C’est arrivé loin de chez nous

On a vu la nouvelle à la télé, on a été horrifiés, on s’est sentis mal, on a compati. Et puis on a zappé, regardé notre émission de variété, le film du soir ou notre série préférée. On a éteint le poste, on est allés manger, on a lu, on s’est couchés. On a oublié, jusqu’au lendemain où la radio nous a réveillés avec plus de nouvelles. On a pris notre petit déjeuner et on a de nouveau oublié. À la pause café, on a fait ceux qui savent, on en a parlé pour montrer qu’on est au courant. Et puis on a fait les mots croisés.

C’est arrivé loin de chez nous et quelque part, ça nous rassure. Nous savons que ça existe, nous savons que ç’aurait pu être ici, mais ça ne l’est pas. Nous, on continue notre vie, c’est normal, on ne va pas s’arrêter à chaque mauvaise nouvelle. Et on croise les doigts pour que ça ne se rapproche pas trop…

Les grandes personnes

Sous la plume de Saint-Exupéry, le mot ressemble à un reproche, une accusation, presque une insulte. La grande personne. L’adulte. Celui qui a perdu son âme d’enfant. Et dans l’inconscient collectif d’une certaine tranche d’âge, mal définie, non identifiée, le mot résonne mal, le mot fait mal. Depuis longtemps sortis de l’enfance, l’adolescence laissée derrière eux, ils peinent à s’assumer, s’accrochent à un état d’esprit flou qui leur permet, peut être, de gagner du temps.

Et pourtant. Quel mal y a-t-il à grandir, vieillir, mûrir? Quand l’âme d’enfant est déjà bien ébréchée, pourquoi refuser le costume de l’adulte pour un nouveau rôle? La version 2.0 a peut être ses failles mais permet des fonctionnalités tout à fait intéressantes, dessine au fusain des possibilités prodigieuses. Bien sûr, il faut accepter le paquet, on ne peut choisir les avantages sans les responsabilités, mais après tout, n’est-ce pas cela, être maître de sa vie?

Alors, pourquoi freiner devant un mot, un concept? Pourquoi refuser avec tant de virulence l’évolution? Pour tous les possibles qui se transforment en souvenirs? Comme si ce qui était déjà vécu n’était plus à vivre ! Comme si à chaque expérience, on cochait une case “ça, c’est fait” et qu’on n’y revenait plus. Alors que non, finalement. Chaque expérience devrait nous donner de nouvelles idées, de nouveaux possibles, des perspectives qu’on n’aurait pas imaginées dans cette vie rêvée à l’enfance. Quand, enfin devenus grands, on a réalisé ne serait-ce qu’un de nos espoirs adolescents, quel mal y a-t-il à en avoir de nouveaux, peut être plus terre-à-terre, mais plus réalisables, pour nous porter encore un peu vers demain?

Histoires de fleurs

Une pâquerette dans les cheveux, un bouton d’or sous le menton, fleurs des histoires enfantines. Un bouquet de lys orangés, témoignage d’une histoire d’amour. Violettes, coquelicots, primevères, fleurs des voyages campagnards. Une orchidée, fleur à offrir. Un pissenlit, fleur volatile. Fleur de cactus, étoile filante à ne pas rater. Un nénuphar, fleur aquatique, ennemie de Chloé. De la glycine, fleur odorante annonçant le printemps. Pétales de roses, de jonquilles, des fleurs pour vous dire au revoir et bon vent.

Histoires de fleurs qui ne parlent que parce qu’on les écoute, comme le Petit Prince savait si bien le faire. Fleurs de mon histoire, qui stockent mes souvenirs et leur permettent de remonter à ma surface.

Pâtisserie

Qui nous oblige, un beau jour, à rentrer dans le moule? Pourquoi ne pas continuer simplement à danser en pleine nuit au milieu de la route? Comment passe-t-on de “jeune fille en fleur” à “vieille folle qui ne tient pas en place”? Les occasions qui filent, les tabous de nos amis, notre fatigue latente croissante nous font maintenant soupirer devant cette bande de greluches qui rient un peu trop fort. On se replie, la musique dans les oreilles, les yeux bien cachés derrière le journal. Est-elle si loin l’époque où on ne ratait pas l’occasion de faire le pitre dans le métro?

La faute au temps qui passe? Nos vies qui nous absorbent? Qui nous a malaxés jusqu’à faire de nous une pâte bien homogène, sans grumeaux, prête à être enfournée pour régaler les enfants?

Le temps emporte l’âge

Petit à petit, le temps tire sur la corde. Un jour, c’est sûr, il gagnera. En attendant, il emporte chaque jour un peu de nous, et on ne s’en rend compte qu’en ces occasions plus ou moins festives où le temps nous emporte un an d’un coup.

Petit à petit, le temps nous pousse de l’avant. Il remplit notre bagage de souvenirs, d’expériences, de vécu. Il sait se faire apprécier, le temps qui passe… Il nous distille au compte goutte ses petits moments, douceurs et liqueurs de vie, simples amuse-gueules qui nous font espérer le dessert.