Where is my mind ?

Où est ma tête quand j’écris ?

Je peux lire – marcher – courir – nager – parler – manger et sans prévenir les mots coulent dans cette tête, liant un ailleurs à un maintenant. D’un coup vient cette furieuse envie de noter sur n’importe quel support – papier – mouchoir – carnet – téléphone – main – table – tête. Frénétiquement les phrases tournent jusqu’à s’ajuster. Sans que je ne fasse rien que laisser ma tête vagabonder à l’affût de ces mots qui ne demandent qu’à l’envahir.

Si l’instant passe sans que rien ne soit gravé, peut être les assemblages seront-ils perdus à tout jamais. Il y a un temps pour tout. Et certains textes inachevés le resteront très certainement, le train des mots étant parti. C’est un peu comme le sommeil cette affaire là, quand on rate le coche on peut attendre un bout de temps. Et on ne sait pas sur quels rêves on va tomber à retarder comme ça le moment de céder à l’inconscient impératif.

À qui appartient ma tête quand j’écris comme ça ? À qui appartiennent mes mots, mes textes ? Quand je ne sue pas sang et eau pour poser trois paragraphes mais que s’écoule venue d’on ne sait où une espèce de prose déjà posée, déjà pensée. Suis-je tout juste bonne à l’enrobage, à raccrocher et lier les formules comme un cuisinier prépare son menu ? S’il est formidablement exaltant de voir ces cascades de mots se déverser dans ma caboche-réceptacle, l’impression de dépossession de moi-même qui en résulte est à la fois très excitante et un brin effrayante. Qui suis-je donc quand j’écris ?

Ça plane pour moi

La cervelle en surchauffe, enfin dans mon élément. Survol. Balayage. Focus. Urgence. L’échéance qui arrive comme un camion à contre-sens. Acuité. L’éveil adrénergique concentre l’attention papillon mais élargit l’esprit. La tempête en approche m’apaise, comme toujours. La toile se construit, lien après lien, réseau de savoirs articulés, de concepts en intelligence. Bien sûr il y a des lacunes. Mais le filet est solide et rassure. On peut se jeter dans le vide sans risquer de se faire trop de mal.

Et revoilà le frisson. Au moment de sauter du plongeoir, on teste ses appuis, l’élasticité de la planche. Mais il n’est plus temps de se demander si on sait nager. On sait. Il n’y a plus qu’à savourer la vie comme suspendue. Et sauter.

Peut être auront-ils raison, finalement. De cette année de malaise sourd, d’impression d’imposture, de stress acide rongeant le corps et les ressentis, peut être ne restera-t-il que cette quintessence. Toute l’intensité d’une année-sourdine révélée en une poignée de semaines et quelques étapes euphoriques le long du tunnel. Et alors, dans le rétroviseur, peut être ne seront reflétés que ces instants fugaces, condensés de vie à l’état brut, pour lesquels j’avais choisi, il y a à peine un fragment d’éternité, de relever le défi.

Présentations

Je suis hétérosexuelle (enfin je crois. Pour l’instant en tous cas, c’est un homme que j’aime). Vous vous en fichez pas mal, hein ? Je suis également docteur, j’espère être prof bientôt, j’ai présidé un club de théâtre amateur, j’aime danser, je fais une moussaka d’enfer (de manière très objective, évidemment), j’adore mon vélo pliant et j’ai deux chats. Je ne sais pas si ça vous passionne plus, mais de manière générale, ça ouvre tout de suite plus de sujets de conversation. Je n’en reste pas moins hétérosexuelle. Mais c’est une manière plutôt incongrue de se présenter, non ? Ça ressemble furieusement à une non-information.

Alors quoi ? Que l’on remplace hétéro par n’importe quel préfixe et voilà que le mot devient une identité à part entière. Pas une parcelle d’un être complexe, non. On réduit carrément une personne à un adjectif, comme ça, parce que c’est plus simple. Comme si à partir de maintenant, je n’étais plus que chocovore. Certes, en ce moment, ça résume plutôt bien ma vie. Mais bon, ce serait également assez incongru de remplir un profil de site de rencontre avec cette seule information. Sauf si je cherche des fétichistes. Et encore.

D’ailleurs souvent, le préfixe devient le mot, histoire de se rétrécir encore les idées. Il est homo. Elle est bi. Et j’en passe. Qui ça intéresse ? Trop de monde encore. Non pas que je ne veuille rien savoir des orientations de mes amis. Si ce sont mes amis, je m’intéresse un minimum à leur vie (et je note d’ailleurs que deux de mes amis n’aiment pas le chocolat. C’est bien plus important pour moi de savoir ça qu’avec qui ils aimeraient coucher ou pas, rapport aux gâteaux que je fais quand je les invite). Non qu’ils n’aient pas le droit de les revendiquer. À l’heure actuelle, ce qui me désole, c’est qu’il y ait besoin de les revendiquer. Et que connaître les préférences actuelles non formatées de mes contemporains, au choix les condamne sans chercher plus loin ou leur donne une immunité de droit dans le débat. Comme si on ne trouvait pas chez tout le monde aussi bien des gens supers que des gros cons.

Moi, y a pas à dire, je préfère qu’on me traite de connasse pour mes idées, mon caractère ou mes actions plutôt que pour mes goûts. Au moins, on peut en débattre. Même si c’est pas conseillé avec moi, parait que je suis bornée.

La plus belle chose du monde

Dans la douleur et l’épuisement, tu viens de “donner la vie” me dis-tu, les larmes aux yeux. Larmes de joie, bien sûr, rien à voir avec une quelconque épisiotomie ou une chute d’hormones. Et c’est, selon toi, la plus belle chose du monde.

Alors pour commencer, tu n’as rien donné du tout. Tu n’as pas créé une vie. Elle se transmet toute seule la vie. Bien sûr, tu as nourri un petit paquet de cellules bien accroché et lui a permis de se développer jusqu’à devenir un petit d’Homme. Mais il ne te doit rien pour ça, ne l’oublie pas. Jamais.

Revenons à la plus belle chose du monde. Ce moment où, après neuf mois à te voir enfler, à ne plus contrôler ce corps que tu croyais connaître, te voilà partie pour un travail impossible à remettre à plus tard et ô combien difficile. Ce moment où, après en avoir tant bavé et tant chié, tu reçois un petit bout sanguinolent, et si possible gigotant et s’époumonant, sur la poitrine, avant qu’on ne te le reprenne pour le certifier conforme. Je te l’accorde, ce doit être très beau, très fort à vivre. Un effort aussi intense enfin récompensé se doit d’être jouissif, exceptionnel. Les endorphines sont là pour ça.

Mais la plus belle chose du monde, sérieusement ? À quoi ça sert de “faire des enfants” alors si accoucher est la plus belle chose du monde ? À profiter d’un maximum d’énergie potentielle avant que les possibles ne se resserrent inéluctablement ? À avoir des bébés, un amour “inconditionnel” (ah ah ah), et puis se plaindre qu’ils marchent déjà, que ça passe trop vite, qu’ils sont ingrats et qu’il faudrait les garder dépendants petits le plus longtemps possible ?

Moi qui croyais que le côté formidable de la parentalité c’était de guider du mieux possible un être naïf sur le chemin de la vie. Que c’était de lui donner quelques cartes pour qu’il comprenne un peu comment ça marche par chez nous et qu’il regarde où il pose ses petits petons. Que c’était de le nourrir quotidiennement d’émerveillement, de réflexion, d’esprit critique, de graines d’imaginaire et d’arroser le tout de litres de curiosité. Que c’était de cultiver inlassablement sa soif de vivre et de l’inciter à se construire lui-même, à partir des briques qu’il aura choisies parmi toutes celles qu’on aura laissées subtilement à sa disposition.

J’ai dû me tromper alors. Il faut croire que c’est à la portée des premiers venus de rajouter au monde une bouche à nourrir, de mélanger leurs fluides et leurs gènes en espérant qu’en sorte quelque chose de beau. Jusque là, pas besoin de permis ni même de test d’aptitude, il n’y a pas vraiment de quoi se vanter. Mais bon, pour la suite, ça se corse un peu, non ? Et la plus belle chose du monde serait finalement étirée, diluée dans les années qui suivent, minutes fugaces entrecoupées de couches, de devoirs, de pleurs, d’urgences, d’insomnies, de caprices, de punitions, de routine abrutissante pour toi mais plus que rassurante pour eux…

La Muse SNCF

Les jours s’ajoutent aux semaines, la page est toujours blanche, la jachère a plus que trop duré. À force de ne rien faire pousser, le terreau s’est tari, les mots refusent de sortir. Ni les mots qui font rêver, ni les grands mots savants. À croire qu’ils hibernent tous. À croire qu’ils sont mieux au chaud au fin fond du néant.

Peut être sont-ils tout simplement en train de mûrir lentement. Peut être répondront-ils présents au moment où j’aurai besoin d’eux. Après tout, ils ne m’ont encore jamais fait faux bond. Certes, mais si à force de ne pas servir, à force de paresser, ils avaient perdu leur chemin, s’ils avaient oublié leur nom ou ne voulaient plus répondre ? La morte saison s’éternise, le printemps tarde à venir.

Et s’ils avaient senti que j’aurais dû me forcer depuis longtemps déjà ? Ne serait-ce que pour leur montrer que moi aussi je suis là pour eux, pour les lancer en piste, pour leur permettre de s’envoler au lieu de rester tassés dans un coin plus sombre encore que l’arrière de mon crâne. S’ils avaient pris peur, tous ces mots, empêtrés qu’il sont dans un brouillard de panique léthargique ?

Heureusement, la pause TGV toujours les rassure, les éveille. Les voilà qui pointent le bout de leur nez, me tenant à leur disposition. Quatre heures et demie sans autre échappatoire que le sommeil ou le travail, les pensées tourbillonnent et s’organisent. Les mots crèvent la surface et se jettent sur le papier. Les timides restent encore cachés dans la pénombre, ils attendront le retour pour s’exprimer. Mais les plus téméraires s’imposent et les doigts retrouvent la joie de taper sans réfléchir, obéissant aveuglément aux mots en rafale qui se bousculent pour écrire seuls les textes que la tête encotonnée peine tant à inventer ces derniers temps.