Histoire du participe passé qui voudrait être accordé et qui se fait corriger

Il en a tellement marre ! À chaque fois que le grand Monsieur Avoir se pointe, pas moyen de s’amuser. Être, au moins, il paie pas de mine mais il n’est pas si regardant. Avec lui, on peut changer, se parer, s’accessoiriser, s’entendre avec ses voisins. On est loin de la rigueur du tout-puissant Avoir. Lui ne tolère qu’une exception à sa sacro-sainte règle. Passez devant, les compléments ! De toujours vous voir derrière, il n’est point d’accord !

Alors, à force, le petit se rebelle, glisse quelques s pour semer le doute. A-t-il raison ou bien tort? Les esprits s’embrouillent, les érudits ont déserté, les gardiens sont débordés. Dans la masse, qui s’en soucie?

Mais alors qu’il prend ses aises, fait de l’oeil à chaque adjectif, s’harmonise à tout-va, un œil sévère l’épingle. Avoir ne tolère pas d’accord entre parties, qu’on se le dise, à moins qu’il ne soit galamment précédé d’un C.O.D. Ainsi fut épinglé le participe passé qui dans le moule ne voulait pas entrer.

Zen attitude

La montre au poignet, l’œil sur l’écran, il mange des chips et lit entre deux réunions ce qu’il trouve sur internet. En général, il n’aime pas être dérangé dans ces moments-là, qu’il appelle des pauses. Pauses où, tel un glouton, il avale, les yeux écarquillés, les derniers buzz du moment. Surtout rien qui dépasse les quatre minutes, sa capacité d’attention et son chef n’apprécient pas. Il éclate de rire silencieusement, se tape la cuisse et transfère ses trouvailles à ses collègues. Puis se replonge pour une demi-heure dans son travail fastidieux.

Le jour de la Grande Panne de Courant, il était à son poste. Il n’a tout d’abord pas compris ce qui se passait. A essayé de rebrancher son ordinateur, a vérifié tous les cables, a rallumé trois fois ce qui pouvait l’être. Puis ses collègues sont venus le chercher, pour une pause café inopinée. Café froid, mais café quand même. Il regardait sa montre toutes les deux minutes et vérifiait son cerveau de substitution à tout bout de champ, des fois qu’il apprenne avant les autres que les extra-terrestres avaient débarqué dans sa ville, coupant net tout courant.

La pause s’est éternisée. N’étant pas couverts par l’assurance, les employés n’avaient pas le droit de sortir pendant leur heures de travail supposées. Avec l’ascenseur en panne et pas de lumière, il préférait rester devant les baies de la salle de réunion avec les autres. Quand il a commencé à rationner sa batterie, il s’est rendu compte qu’il n’était plus tout à fait avec les autres. Qui avaient l’air de très bien prendre la chose, se lançant des boutades, profitant de ces instants d’intimité partagées pour se détendre réellement. Il comprit tout d’un coup que c’était habituel chez eux. Chaque jour, ces hommes et ces femmes laissaient derrière eux leurs écrans, lâchaient l’horloge du regard, coupaient contact avec leur si précieux réseau pour se retrouver. Il trouva cela étrange. Quelques heures plus tard, quand il fut temps pour eux de rentrer chez eux, il se sentit grisé. Il se promit de recommencer le lendemain, à la première occasion. Et oublia quand il vit le nombre de mails non lus dans sa boîte de réception.

La courte paille

Alors, ainsi, ce sera moi. Demain, dans une semaine ou dans deux mois, quelques lignes dans le journal pour évoquer brièvement ma vie, le bien que j’ai pu faire, mes dernières minutes de vie. La tristesse et la colère de mes proches, de mes collègues. Ce n’est pas si horrible à vivre en fait. Je n’ai presque eu le temps de me rendre compte de rien. Juste cette conscience aiguë d’être le prochain fait divers pendant que mon esprit déjà essaie de fuir la scène de crime. J’ai toujours eu horreur du sang. Le fait qu’il s’échappe de plaies abdominales de mon propre corps n’est pas pour me le rendre plus attrayant. Autant partir, là, simplement, que d’essayer de lier toutes ces sensations disparates. Les yeux fermés la douleur n’est pas si forte. Les yeux ouverts, je suis pris de spasmes en visualisant l’horreur, le sordide et l’absurde de ma situation. La prochaine fois, je penserai à baisser la tête devant ce genre de personnes. La prochaine fois… Mais, au fait, le chat n’a pas mangé ce matin. J’espère qu’on retrouvera vite mon corps et qu’on pensera à s’occuper rapidement de lui.

Éloge de la fessée

Sèche, la main claque sur la peau nue. Pas vraiment de douleur, à peine un pincement. Le bruit, lui, est impressionnant. Il sonne comme une tasse de porcelaine s’écrasant sur le sol. Il provoque à lui seul un sursaut, un frisson le long de l’échine. Le courant d’air de la main qui se relève et prend son élan procure quelques secondes d’anticipation troublée avant le claquement suivant. À nouveau, les paupières se plissent au moment du choc, la tête se baisse, la nuque s’enroule, tentant d’esquiver le coup à venir. Mais le corps l’accueille lorsqu’enfin il tombe, mettant brutalement fin à l’attente anxieuse. Encore une fois, plus de peur que de mal. Déjà, le rouge rosit puis blanchit. La seule marque qui ne s’estompera finalement pas est l’égo égratigné, la fierté ravalée qui rejaillira dans un magnifique flamboiement d’yeux défiant le monde entier.

Le mouchoir de la peur

Elle a le nez tout rouge, tout enflé, tout sec mais persiste à se cacher éternellement derrière son mouchoir. On lui parle, on la met mal à l’aise, on la regarde et elle rougit, aussitôt elle se mouche pour se donner une contenance, éviter les sujets fâcheux, se cacher du monde. Elle a beau savoir que cette attitude la rend ridicule, lui donne l’air grotesque, que son nez soit visible ou planqué à l’abri d’un mouchoir, elle ne peut pas s’en empêcher de peur de perdre son statut. Malade imaginaire qui somatise pour détourner l’attention de ses blessures réelles, elle finit par assumer son hypocondrie pour ne pas assumer le reste.